Homélie du 6 novembre

   Mes amis, avec ce récit d’évangile que nous venons d’écouter, voici une des rares incursions de Jésus dans l’au-delà, et il ne s’y aventure que parce qu’il est provoqué.

En fait, si Jésus parle plus volontiers de la vie présente et de la présence de Dieu dans cette vie et dans ce monde, toutes ses paroles sont habitées par une espérance, un à-venir. Et les sadducéens le savent bien, et c’est pourquoi ils le provoquent, en espérant sans doute une réponse qui le ridiculisera.

   Oui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ces sadducéens ne sont pas des modernes avant l’heure, lorsqu’ils refusent de croire à une résurrection à venir et d’ailleurs à toute vie après la vie. Ils représentent la croyance israélite la plus archaïque, qui se singularisait des autres religions par son manque d’intérêt pour l’au-delà. L’important, c’était cette vie-ci, cette vie ici-bas, et de vivre avec Dieu dans cette vie-ci, en acceptant ses limites d’être humain, chose soit dit en passant que le christianisme a eu trop tendance à oublier en insistant sur l’au-delà de la vie.

   En effet, la question posée à Jésus par ce groupe de sadducéens est faussement naïve. Elle est une raillerie à l’égard de certaines spéculations populaires, qui font de la résurrection une simple reprise de la vie présente, du monde à venir un simple recommencement de celui-ci, de l’au-delà une simple projection de l’ici-bas.

  Au fond, Jésus n’est pas très éloigné d’eux. Lui aussi récuse les représentations grossières et naïves de la résurrection, mais lui par contre porte l’espérance d’une vie et d’un monde que l’on ne peut pas imaginer, de quelque chose d’incomparable à ce que nous connaissons, ce que les sadducéens – et leurs adversaires  «  pro-résurrection » autant qu’eux – semblent incapables d’envisager.

  Oui, pour Jésus aussi, l’important se situe dans le présent, mais ne limite pas le rôle de l’être humain à assurer une descendance au clan, sans que d’ailleurs les géniteurs ne soient importants. Et ce présent débouche sur un à-venir. Mais est-ce d’ailleurs un à-venir ?

  Jésus, ici, ne prouve pas vraiment la résurrection, même en citant les Ecritures. Abraham, Isaac et Jacob ne sont pas ressuscités : si résurrection il y a, elle est encore à-venir, même pour eux. Mais « ils ne peuvent pas mourir », parce que Dieu a été leur Dieu, parce qu’ils sont entrés dans son Alliance. « Ils sont vivants pour Lui » parce qu’ils ont vécu pour lui, avec lui, en lui sur cette terre.

  Alors Promesse universelle ? Je vous laisse méditer, comme moi, sur ces mots : « Ceux qui ont été jugés dignes d’accéder à ce monde-là et à la résurrection d’entre les morts. » Il me semble qu’avec cette ouverture sur l’au-delà et sur l’à-venir, Jésus nous renvoie encore au présent, à l’importance d’être vivants pour Dieu dans le présent, un présent qui de vient ainsi éternel. Car le cœur de la Bonne Nouvelle, de l’Evangile de ce dimanche est dans ces mots : «  Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. ».

   Oui, la vie avec Dieu ne se situe pas dans l’au-delà et dans l’à-venir, elle commence dans le présent, ici et maintenant, mais elle ne se limite pas non plus à cette vie-ci. Un à-venir est déjà là, un présent éternel.

   Et bien fort de cette annonce, en ces jours de Novembre où nous pensons plus particulièrement à nos défunts, où nous nous interrogeons peut-être sur l’au-delà, gardons bien en mémoire aussi qu’en Israël, la foi en la résurrection n’est pas venue de l’observation des cycles de la nature avec ses renaissances, mais d’un approfondissement de la relation d’amour entre Dieu et chacun des membres de son peuple, autant dire de la conscience et de l’expérience que l’amour est plus fort que la mort.

   N’est-ce pas la Bonne Nouvelle du matin de Pâques que nous célébrons chaque dimanche et qui s’offre à nous comme un viatique pour notre route, comme un sacrement de cette vie de Dieu plus forte que la mort, que tout ce qui nous retient déjà dans la mort, cette vie ressuscitée qui nous est partagée et donnée en nourriture afin que nous ayons la vie et la vie en abondance dès aujourd’hui.

   Alors c’est dimanche, c’est le jour du Seigneur, c’est le jour de renouveler notre confiance en Dieu, dont l’amour est plus fort que la mort. La prière de St Paul pour les Thessaloniciens nous rappelle que croire au Dieu des vivants, c’est s’engager à être vivant, dès aujourd’hui, en toute chose. Sans se dérober devant la mort lorsqu’elle se présente, nous sommes invités à choisir la vie à chaque instant, en se mettant au service de nos frères et sœurs.

   Oui, être chrétien, c’est  toujours un appel, une vocation à nous engager pour donner à tous un supplément de vie, un surcroit de vie. Et enfin, de faire signe de la Promesse de la vie éternelle qui ouvre un large horizon d’espérance, qui veut faire de nous des passeurs d’espérance.

   Allez, une vie infinie nous attend, elle dépasse ce que nous pouvons en imaginer, elle est à la mesure de la démesure de Dieu. Bon dimanche à vous tous !

P. Patrick Rollin