En marche vers Noël – 2

Méditation (à la lumière de la lettre encyclique Laudato si’…)

(…) L’âne se tient à gauche de la crèche, le bœuf à droite, places qu’ils occupaient au moment de la Nativité et que le bœuf, ami d’un certain protocole, affectionne particulièrement. Immobiles et déférents ils restent là durant des heures,comme s’ils posaient pour quelque peintre invisible.

L’enfant baisse les paupières. Il a hâte de se rendormir. Un ange lumineux l’attend, à quelques pas derrière le sommeil, pour lui apprendre ou peut-être pour lui demander quelque chose.
L’ange sort tout vif du rêve de Jésus et apparaît dans l’étable. Après s’être incliné devant celui qui vient de naître, il peint un nimbe très pur autour de sa tête. Et un autre pour la Vierge, et un troisième pour Joseph. Puis il s’éloigne dans un éblouissement d’ailes et de plumes, dont la blancheur toujours renouvelée et bruissante ressemble à celle des marées.

 — II n’y a pas eu de nimbe pour nous, constate le bœuf. L’ange a sûrement ses raisons pour. Nous sommes trop peu de chose, l’âne et moi. Et puis qu’avons-nous fait pour mériter cette auréole ?
— Toi tu n’as certainement rien fait, mais tu oublies, que moi j’ai porté la Vierge.

Le bœuf pense par-devers lui : « Comment se fait-il que la Vierge si belle et si légère cachait ce bel enfançon ? » (…)

Le bœuf et l’âne sont allés brouter jusqu’à la nuit. Alors que les pierres mettent d’habitude si longtemps à comprendre, il y en avait déjà beaucoup dans les champs qui savaient. Ils rencontrèrent même un caillou qui, à un léger changement de couleur et de forme, les avertit qu’il était au courant.
II y avait aussi des fleurs des champs qui savaient et devaient être épargnées.C’était tout un travail de brouter dans la campagne sans commettre de sacrilège. Et manger sans commettre de sacrilège. Et manger semblait au bœuf de plus en plus inutile. Le bonheur le rassasiait.

Avant de boire aussi, il se demandait : « Et cette eau, sait-elle ? »

Dans le doute il préférait ne pas en boire et s’en allait un peu plus loin vers une eau bourbeuse qui manifestement ignorait tout encore.

Et parfois rien ne le renseignait sinon une douceur infinie dans sa gorge au moment où il avalait l’eau. « Trop tard, pensait le bœuf, je n’aurais pas dû en boire. »

II osait à peine respirer, l’air lui semblait quelque chose de sacré et de bien au courant. Il craignait d’aspirer un ange. (…)

Jules Supervielle(1884-1960) in « L’enfant de la haute mer » (recueil de contes 1931).

 «Le bœuf connaît son propriétaire et l’âne la maison de son maître, mais Israël ne la connaît pas, mon peuple ne comprend pas» (Isaïe:1:3).