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Nuit de Pâques                 7 avril  2012

Qui nous roulera la pierre ? Elles étaient confiantes ces femmes qui allaient de grand matin au sépulcre pour embaumer le corps de Jésus. Elles avaient pourtant bien vu la très grande pierre qui avait été roulée, il y a trois jours déjà, à l’entrée du tombeau. Et pourtant, elles se sont mises en route.

La question de ces femmes au petit matin n’a rien de scandaleux. Ce n’est pas de l’insouciance de leur part mais le gémissement de l’impuissance. Car depuis trois jours, celui qu’elles ont suivi est mort, déposé derrière cette pierre. Leur vie n’a plus de sens. Mais l’amour pour lui est plus fort que le raisonnement. Alors elles sont parties au lever du soleil et sont en marche vers un crucifié. Elles écoutent leur cœur plus que leur tête et elles vont de l’avant.

C’est déjà cette même dynamique qui avait mis en route les fils d’Israël. Lorsqu’ils se retrouvent devant la mer, obstacle humainement infranchissable, Moïse, sur ordre de Dieu, fend les eaux et le peuple passe à pied sec. Ce jour-là, nous disait le texte, « le Seigneur sauva Israël ». Ce qui paraît si simple dans l’histoire biblique – une mer mise à sec, une très grande pierre roulée – semble totalement étranger à ce que nous vivons tant parfois des obstacles sont là devant nous et des pierres barrent notre chemin.

Toute l’histoire du salut nous dit la sollicitude de Dieu pour son peuple. Rien ne peut altérer son amour. C’est le cri du prophète Isaïe que nous avons entendu : « Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ». Et à l’inverse, le prophète Baruc expliquait : « Si tu avais suivi le chemin de Dieu, tu vivrais dans la paix pour toujours ». C’est un peu comme si l’histoire biblique – et donc la notre aujourd’hui – était une longue partie de cache-cache commencé depuis que l’homme a mangé le fruit défendu. Dieu dit alors à Adam, et à nous ce soir : « Où es-tu ? »

C’est encore la même interrogation dans l’Évangile lorsque le jeune homme vêtu de blanc interroge les femmes arrivées au tombeau : « Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié ? » Ainsi, la seule question à nous poser cette nuit est donc celle-ci : que cherchons-nous ? Quel est le moteur de notre vie ? Nous voulons tous donner un sens à notre vie. Au terme de notre existence, nous ne voulons pas avoir vécu en vain. Tous nous avons de l’ambition pour nous-mêmes, pour ceux que nous aimons. Et c’est une bonne chose !

Mais que peut pour nous le Ressuscité quand nous ne connaissons que trop les pierres qui nous écrasent, les eaux qui nous submergent. Ne nous y trompons pas. La force de la Résurrection n’est pas une force magique réservée à quelques initiés pour lesquelles toutes les difficultés disparaitraient ! Au contraire, cette force nous rejoint au cœur même de notre vie, de notre ambition, pour nous entrainer encore plus loin. Mais qu’est ce qui freine notre ambition ? Ce qui freine notre ambition, la détourne de sa vraie finalité de façon mortifère, c’est la peur ! Peur de ne pas y arriver, peur de se tromper, peur de ne pas être à la hauteur.

C’est comme si, au bout du compte, tout dépendait de nous-mêmes, de nos seules forces. Alors nous réduisons notre ambition ou du moins, nous nous limitons à ce qui se mesure, à ce qui se maîtrise. Pourquoi avons-nous tant de mal à faire totalement confiance à Dieu ? Plutôt que de nous appuyer sur lui, nous préférons, par peur, nous appuyer sur nous-mêmes, tout en informant Dieu de ce que nous faisons. Lui faire confiance, ce n’est pas de la passivité, mais apprendre de lui la connaissance, la force et l’intelligence, comme nous y invite le prophète Baruc.

Or cette nuit, c’est comme si Dieu disait à chacun, dans le secret de son cœur : « J’ai de l’ambition pour toi ! » La Résurrection du Christ ne concerne pas seulement celui qui a livré sa vie sur la croix. Elle nous rejoint aujourd’hui et traverse toute notre existence. Par la Résurrection du Christ, Dieu nous dit l’ambition qu’il a pour nous. Nous avons chanté dans un des psaumes : « Voici le Dieu qui nous sauve : j’ai confiance, je n’ai plus de crainte ». Cette nuit très sainte, laissons la force du salut nous saisir, laissons-la rouler la pierre qui ferme la porte de notre cœur.

Le Christ est ressuscité, nous sommes ressuscités avec lui. L’ambition de Dieu pour chacun est de nous donner la force d’amour du Ressuscité pour nous aimer nous-mêmes et aimer les autres comme lui les aime, pour développer notre vie en vérité avec nous-mêmes et non en nous enfermant dans des modèles tout faits. Voilà la force qu’il veut nous donner ce soir. Voilà ce qui peut changer notre vie, dès maintenant. Bien sûr, les difficultés de notre vie ne vont pas disparaître comme par enchantement, mais en ressuscitant, le Christ veut nous libérer de la peur qui nous replie sur nous-mêmes et fausse nos relations aux autres et à Dieu.

Croyez-vous à l’ambition que Dieu a pour vous ? « N’ayez pas peur ! », comme le disait déjà l’homme vêtu de blanc dans le tombeau. La seule ambition qui donne toute sa valeur à notre vie, tout son sens ; la seule ambition qui fait de nous des vivants ; la seule ambition qui nous rend capables de développer le meilleur de nous-mêmes et de nous rendre heureux, c’est l’ambition de l’amour ! Nous célébrons cette nuit la victoire de l’amour sur la mort, la victoire de la lumière sur les ténèbres.

C’est cela qui éclate au cœur du mystère de la résurrection : l’amour est plus fort que la mort, car le Christ est entré dans la mort uniquement par amour pour nous. Quelle est cette puissance de l’amour ? C’est une puissance de dépouillement, une puissance de libération. Celui qui aime ne se regarde pas. Il se dépossède de lui-même et devient un espace pour accueillir l’autre. Vivre cette vie nouvelle de Ressuscité ne concerne pas seulement l’après de notre mort.

Le Ressuscité nous attend maintenant, à chaque battement de notre cœur. Il veut donner à notre vie les dimensions mêmes de la sienne. Cette capacité d’aimer nous a été communiquée, et nous pouvons dès ici-bas, dès aujourd’hui, aimer d’un amour infini, parce que le Christ est vivant, parce qu’il est ressuscité, parce qu’il est la Vie de notre vie. Qui ne voudrait être aimé d’un amour infini ? Qui, lorsqu’il aime, n’espère rencontrer un amour sans frontières, sans égoïsme et sans retour sur soi.

N’ayons pas peur de nous laisser aimer par le Ressuscité et de l’aimer de tout notre cœur. Dieu veut saisir tout notre être, tout notre cœur. Si nous restons prisonniers de nos peurs, nous ne nous mettrons jamais en route, nous continuerons à chercher un crucifié, un homme du passé et non un Vivant, le Ressuscité ! Faisons confiance à ces femmes qui se sont mises en route de bon matin. Partons nous aussi à la rencontre du Ressuscité qui nous attend chez nous. « Il vous précède en Galilée » : il vous précède chez vous leur dit le jeune homme, dans le quotidien de votre vie.

Si nous sommes fidèles à cet appel du Seigneur, si nous respirons sa lumière, si nous lui rendons visite dans l’intimité de notre cœur et si nous devenons transparents à sa présence, notre amour sera capable de délivrer de leurs limites tous les frères humains que la vie mettra sur notre route. C’est l’amour qui triomphe de la mort. Tel est notre acte de foi : l’amour est plus fort que la mort à condition que l’amour soit totalement donné.

La conséquence d’un tel choix de notre part est que nous vivions dès maintenant en Ressuscité ! Ce n’est pas tout de se laisser traverser par la force de la résurrection si nous ne décidons pas, ce soir, de prendre des risques avec le Ressuscité, comme les fils d’Israël qui n’ont pas eu peur de traverser la mer à pied sec, comme les femmes qui n’ont pas eu peur de se mettre en route malgré la très grande pierre.

Sommes-nous prêts à engager notre vie dans la radicalité de l’Evangile, au risque que quelques unes de nos sécurités en soient ébranlées ? Sommes-nous prêts à engager nos relations dans une plus grande confiance gratuite ? Pour que la paix règne dans le monde, il est urgent qu’aujourd’hui nous entendions ce message, qui est le message essentiel de la Résurrection : c’est l’amour qui aura le dernier mot, car l’amour est plus fort que la mort. Sommes-nous prêts à dire au Ressuscité, lorsque nous tiendrons notre cierge allumé en main, dans un moment : « J’ai totalement confiance en toi, et au sens que tu veux donner à ma vie » ?

Alors si nous sommes prêts à tout cela, si nous choisissons l’ambition que Dieu propose à notre vie et non  celle que nous calculons, nous pouvons renouveler dans un moment la foi de notre baptême. Nous pouvons chanter de tout notre cœur : « Credo ! Amen ! », « J’y crois ! » et je choisis de construire ma vie sur la confiance que je mets en Dieu. « Voici le Dieu qui me sauve : j’ai confiance, je n’ai plus de crainte. » Si nous choisissons de vivre dès maintenant en Ressuscité à la suite du Ressuscité, alors nous pouvons communier dans un moment au Corps du Christ Ressuscité. Nous pouvons dire de tout notre cœur « Amen ! » en le recevant. « J’y crois ! » et je m’abandonne à l’amour du Ressuscité pour risquer ma vie avec lui.

En vous bénissant à la fin de cette messe, je formulerai ce souhait : « Suivez maintenant les pas du Ressuscité : suivez-le désormais jusqu’à son Royaume où vous posséderez enfin la joie parfaite. » Oui ! Aimez le Ressuscité et suivez-le ! Offrez-lui votre vie. C’est lui qui vient rouler la pierre qui ferme notre cœur !

Père Bruno