Veillée pascale - année C 3 avril 2010
Les
textes du jour
Heureuses femmes que Marie-Madeleine,
Jeanne, et les autres femmes qui les ont accompagnées ! Grâce à elles, et
à tant d’autres depuis, nous est parvenue cette annonce inouïe : « Pourquoi
cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité !
»
Pourtant il leur en a fallu de l’audace pour
se mettre en route sitôt le sabbat fini. Elles sont allées au tombeau avec les
aromates préparées pour embaumer le corps de Jésus, selon la tradition juive,
sans avoir l’air de douter un seul instant que la pierre qui fermait le tombeau
serait trop lourde à rouler pour elles seules. On comprend qu’elles ne savaient
que penser : la pierre est roulée, le corps n’est pas là… Elle cherchait un
cadavre et voilà soudain que deux hommes avec un vêtement éblouissant leur
révèlent quelque chose d’inouï : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les
morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité ! » Et à ces mots elles se
rappelèrent…
Du côté du groupe des disciples cela n’est
guère mieux : les propos des femmes semblent délirants et Pierre, qui veut
vérifier par lui-même, ne voit dans le tombeau qu’un linceul. Étonné de ce qui
était arrivé il retourne alors chez lui, comme signifiant par là qu’il rentre à
l’intérieur de lui-même pour méditer ces propos délirants : « Pourquoi
cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité !
»
Et si nous-mêmes nous essayions de rentrer à
l’intérieur de nous-mêmes pour accueillir l’inouï de la présence du Ressuscité.
Ne nous arrive-t-il pas, nous aussi, de chercher plus souvent parmi les morts…
C’est vrai, tant de choses semblent être un obstacle à la vie à laquelle nous
aspirons : il y a la difficulté du monde dans lequel nous vivons – et ce n’est
pas le moment d’en énumérer la liste –, ils sont nombreux les lieux de mort qui
nous affectent plus ou moins directement. Il y a aussi les multiples
découragements qui peuvent nous assaillir, le pire étant sans doute le
découragement envers soi. Qui n’a pas eu le sentiment de buter sur lui-même ou
sur les autres, faisant ainsi le triste constat que la vie à laquelle il aspire
semble inatteignable ? Comme Pierre nous risquons alors de ne voir que le linceul,
de ne retenir que ce qui empêche d’aller de l’avant.
« Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les
morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité ! » Où est le Ressuscité ?
Au bout du compte en quoi nous est utile notre foi en la résurrection ? N’est-ce
qu’une espérance pour après la mort ? Ecoutons ce que nous dit Saint-Paul : « Le Christ est vivant ; de même vous aussi :
pensez que vous êtes vivants pour Dieu en Jésus-Christ » (Romains 6,
10.11). Nous voilà ramenés à la grande promesse de Dieu faite à l’homme : je
veux faire de toi un Vivant ! Toute l’histoire biblique se résume à ce seul
constat : Dieu désire la vie de l’homme, comme celle de son peuple esclave des
Égyptiens.
Reconnaître le Ressuscité présent dans notre
vie nous oblige à un retournement à 180°. Tous, nous voulons vivre et sans
doute mettons-nous tout notre cœur pour réaliser notre vie et parfois même
aussi celle des autres. Et nous avons raison ! Nous sommes acteurs de notre
vie. Mais la foi au Ressuscité nous donne de croire que si nous sommes acteurs,
nous ne sommes pas auteurs de notre vie. La vie en tout homme a sa source en
Dieu. « Ivres de joie, vous puiserez les
eaux aux sources du salut » avons-nous chanté. La foi en la résurrection
nous oblige à renoncer à vouloir être tout-puissant sur nous-mêmes et sur les
autres. Et heureusement ! Car nous sommes tellement maladroits quand nous
voulons décider par nous-mêmes de la vie.
Comment opérer ce retournement, cette
conversion ? « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas
ici, il est ressuscité !
Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée : il faut
que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié
et que, le troisième jour, il ressuscite. » Rappelons-nous ce qui nous est
dit : la vie – la vraie vie ! – se déploie dans la fragilité consentie,
dans la vulnérabilité offerte. Tant que nous nous jugeons nous-mêmes et les
autres sur le résultat de ce que nous faisons, nous restons prisonniers de
notre tombeau. La croix est tout sauf un résultat !
Cette nuit, c’est comme si Dieu nous posait
cette question : crois-tu en la vie qui est en toi et que tu es capable de
développer, de donner ? Et Dieu nous assure même que cette vie reçue de lui
portera du fruit en abondance, indépendamment des résultats que nous en
verrons. Les femmes au tombeau se rappellent la fécondité de la promesse,
Pierre voit le résultat de la mort. Pour qui cherche le Ressuscité, il ne
s’agit pas de chercher à voir mais d’écouter la Parole, de nous en rappeler, de
nous en nourrir pour contempler avec un regard qui peu à peu ressemble à celui
du Ressuscité. Nous ne savons pas comment le Christ est ressuscité mais nous
croyons que sa présence de Ressuscité donne à notre vie humaine sa vraie
dimension car elle roule la pierre de nos enfermements et de nos peurs, de nos
méfiances et de nos inquiétudes, de notre péché.
Voilà que désormais chacun de nous est
traversé par la vie même du Ressuscité. Imaginons un seul instant ce que serait
notre vie si nous prenions le temps de reconnaître en tout frère la vie du
Ressuscité, si nous étions attentifs à la vie du Ressuscité en soi ? Et
pourtant c’est ce que nous manifestons à chaque eucharistie à travers le geste
de Paix. La Paix est la présence même du Ressuscité et le célébrant nous invite
à nous donner la Paix, à nous donner les uns pour les autres cette présence du
Ressuscité.
Se rappeler les paroles de Jésus, c’est
consentir à changer de regard sur soi et sur les autres, non pas de façon
idéaliste mais avec cette unique certitude : tu vaux plus que tes échecs et
même que tes réussites, tu vaux la vie qui est en toi et que le Ressuscité veut
développer avec toi pour faire de toi un Vivant ! Pourrions-nous imaginer
plus belle espérance sur chacun de nous ! Comment alors oublier ses paroles,
cette promesse ?
Souhaitons-nous en cette nuit de Pâques de
puiser à la source de la vraie vie, celle du Ressuscité. Cette source-là change
notre regard sur nous-mêmes et sur les autres. Quand trop souvent de telles
paroles peuvent nous paraître à nous aussi délirantes et nous empêcher de
croire, si cette nuit nous entrions dans le délire de Dieu : Dieu veut faire de
nous des Vivants et sa promesse se réalise en mettant nos pas dans ceux du
crucifié qui est désormais le Ressuscité. Personne n’est exclu de cette
promesse ! Il dépend de nous d’engager notre vie à la suite du Christ Ressuscité.
N’ayons pas peur de lui ouvrir la porte de notre cœur. Il ne pourra jamais nous
décevoir et donnera à ce que nous sommes sa vraie richesse.
Comme cela nous sera dit tout à l’heure au
moment de l’envoi : « suivez maintenant
les pas du Ressuscité ; suivez-le désormais jusqu’à son royaume où vous
posséderez enfin la joie parfaite. »
Père Bruno