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 Troisième dimanche de Pâques

 Année A              8 mai 2011

Nous ne nous lassons jamais d'entendre ce récit des disciples d'Emmaüs, catéchèse écrite par Luc sur l'Eucharistie, récit qui rejoint chacun dans son désir de laisser le Christ Ressuscité éclairer sa vie. Nous le savons bien, si Luc prend soin de nommer seulement un des deux disciples – Cléophas – c'est pour signifier que le second est celui qui écoute ce texte. Aussi, compagnon de Cléophas, laissons-nous enseigner par cette page d'Évangile.

C'est le soir de Pâques et tout est sombre pour ces deux disciples : ils quittent Jérusalem, découragés, peut-être même déçus par ce Jésus qu'ils avaient suivi et qui maintenant est mort. Ils avaient mis en lui tout leur espoir : « Et nous qui espérions qu'il serait le libérateur d'Israël ! » Mais maintenant tout semble fini. Lorsque l'inconnu les rejoint, il commence par leur faire raconter ce qui leur source de découragement : « De quoi causiez-vous tout en marchant ? »

Avec une grande exactitude, les disciples énumèrent avec précision les événements. Tout ce qu'ils disent s'est réellement passé jusqu'aux femmes qui témoignent d'une apparition et aux compagnons qui n'ont pas vu le corps de Jésus dans le tombeau. Mais tous ces événements n'ont aucun sens. Et cette absence de sens conduit Cléophas et son compagnon au découragement. Que fait alors le Ressuscité ? En s'appuyant sur l'Ecriture, il va reprendre chacun de ces événements, et leur en révéler le sens. Leur cœur alors devient tout brûlant : une espérance est en train de naître.

Nous percevons combien ce récit rejoint parfois notre propre manière de percevoir notre vie ou celle des autres. Ne nous arrive-t-il pas de nous décourager lorsqu'il nous semble que les événements ne mènent à rien, voire même nous conduisent à une impasse et font naître en nous une souffrance. Et dans ce cas, bien souvent, l'absence apparente de Dieu ne fait que renforcer notre impression de solitude face à tout ce qui nous arrive. Que fait alors le Ressuscité ?

Il s'approche de nous et marche avec nous. Il ne s'impose pas à nous et ne nous rassure pas de façon « simpliste ». Il commence par nous écouter, par nous permettre d'exprimer ce qui n'a pas de sens. Il faut avoir cette simplicité du cœur qui consiste à exprimer au Seigneur ce qui nous anime face aux événements vécus, qu'ils soient heureux ou malheureux, sans chercher par nous-mêmes à en donner le sens. Ce n'est que dans un second temps, en laissant la Parole de Dieu féconder notre prière, que peu à peu nous apparaîtra le sens de toute chose.

Cela est un point important de la vie spirituelle. Dieu est rarement en prise directe avec l'événement – notre Dieu n'est pas un Dieu qui, de façon habituelle, intervient et change le cours de l'histoire – mais il s'engage à nos côtés pour donner sens à ce qui, humainement, n'en a pas. Il va de soi que cette perception du sens face à des événements tragiques est rarement immédiate mais la foi au Christ Ressuscité nous assure que tout événement, relu à la lumière des Ecritures et présenté avec confiance au Seigneur, portera du fruit.

Le récit des disciples d'Emmaüs aurait pu s'arrêter là et Jésus affirmer qu'il est bien le Ressuscité marchant avec eux. De façon étonnante, il fait semblant d'aller plus loin. Il a éveillé en eux un désir et attend désormais d’eux qu'ils l’invitent à rester avec eux. Plus que le sens des événements, c'est sa présence que le Ressuscité veut nous donner. Ou plus exactement, c'est en invitant le Ressuscité à entrer dans notre auberge, à rester avec nous, que nous serons capables de comprendre le sens qu'il veut donner à toute chose.

Ce qui compte c’est cette intimité avec le Ressuscité, cette certitude intérieure qu'il est là, présent à nos côtés. Si le Ressuscité disparaît au regard des disciples après qu'ils l’aient reconnu à la fraction du pain, c'est parce que désormais ils n'ont plus besoin de le voir mais de croire en sa présence. À aucun moment, il nous est dit dans le texte que le Ressuscité se retire, mais il est reconnu présent autrement, avec les yeux de la foi qui se sont ouverts.

Ce récit nous interroge aussi sur notre manière de vivre l'Eucharistie. À sa lecture, nous percevons bien que chaque fois que nous participons à la messe nous vivons cette même dynamique : présenter au Seigneur notre vie, les événements de notre semaine, la vie du monde ; écouter la Parole de Dieu qui éclaire intérieurement notre existence ; inviter le Seigneur à rester avec nous tandis que nous préparons la table eucharistique, le reconnaître présent tandis qu'il se donne à nous dans l'Eucharistie ; laisser la joie de la rencontre de Ressuscité nous habiter, le cœur tout brûlant ; nous lever – c’est un verbe de résurrection – et nous rendre au-devant de nos frères en commençant par les écouter. Ce sont d'abord les apôtres qui racontent aux disciples d'Emmaüs. À n'en pas douter vivre ainsi chaque eucharistie ne peut que transformer notre vie, nourrir notre foi, dynamiser notre communauté.

Père Bruno