Trentième dimanche du temps ordinaire
Année A 23 octobre 2011
Les textes du jour
L'Évangile
de dimanche dernier nous montrait déjà les pharisiens voulant piéger Jésus : « Est-il permis, oui ou non, de payer l'impôt
à l'empereur ? » Aujourd'hui, la question posée à Jésus est encore plus
délicate puisqu'elle touche directement au rapport à la Loi. À l'époque de
Jésus, plusieurs courants religieux divergent sur la façon d'appliquer les 613
commandements et préceptes que contient la Loi de Moïse, au risque de tomber
dans un légalisme scrupuleux qui permet, entre autres, de condamner ceux qui ne
respectent pas cette Loi.
La réponse de Jésus est limpide : le plus
grand commandement de la Loi, c'est celui de l'amour. Par cette réponse, Jésus
redonne à la Loi sa vraie dimension : Dieu donne sa Loi après avoir fait sortir
son peuple d'Egypte, elle permet au peuple de vivre la liberté que Dieu lui a
donnée en le soustrayant de la servitude égyptienne. N'oublions pas l'introduction
du Décalogue : « Je suis le Seigneur ton
Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison d'esclavage »
(Exode 20,2).
Observer la Loi, c'est répondre à cet amour
de Dieu dans le concret de l'existence ; obéir à la Loi, c'est être libre car
cette Loi est au service de l'amour de Dieu, du prochain et de soi-même. Dans
l'Évangile de Jean, Jésus fera de l'amour le nouveau commandement, nouveau dans
le sens qu’il résume à lui seul toute la Loi donnée à Moïse (cf. Jean 13,34).
Ainsi, dire que Dieu nous commande et que nous avons à obéir à sa Loi, ce n'est
pas affirmer un quelconque autoritarisme de Dieu mais apprendre de lui la
manière concrète d’aimer comme lui.
C'est ce que Jésus dit clairement lorsqu'il
conclut sa réponse : « Tout ce qu'il y a
dans l'Ecriture, – dans la Loi et les Prophètes –, dépend de ces deux
commandements ». Ces deux commandements ne rendent pas caducs tous les
autres mais ils éclairent la manière de les vivre. Obéir à la loi ce n'est pas
réduire sa vie au permis / interdit mais c’est s'interroger : comment ai-je
aimé en faisant ou ne faisant pas telle chose ? C'est le sens de Loi transmise
par Moïse au peuple : tout comme Dieu est compatissant, écoute le cri de celui
qui se tourne vers lui, le peuple doit vivre la même attitude envers l'immigré,
la veuve... (1ère lecture).
Lorsque Jésus indique que les deux
commandements sont semblables – aimer Dieu et aimer son prochain comme soi-même
–, il affirme clairement ce que Saint Jean reprendra dans sa première lettre :
« Si quelqu’un dit : "J’aime
Dieu", et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur » (1 Jean 4,20).
Une nouvelle fois, nous avons à vérifier, dans le concret de nos relations, le
lien que nous faisons entre notre foi en Dieu et notre manière de vivre avec
les autres.
Nous ne pouvons pas nous tourner vers Dieu
sans nous tourner vers l’autre, cet autre que la Loi nomme prochain. Aimer son
prochain, ce n'est pas seulement aimer celui qui est proche de soi, c'est aimer
en se rendant proche de l'autre (cf. cette même question posée à Jésus dans
l’Evangile de Luc qui se poursuit par la parabole du bon samaritain : Luc 10,
25-37).
Si l'amour de Dieu et l'amour du prochain
sont équivalents, il y a un troisième amour à prendre en compte : l’amour de
soi. En effet, la Loi ne dit pas d'aimer son prochain mais de l’aimer comme
soi-même. Quel est donc cet amour de soi dont parle l'Ecriture sans lequel on
ne peut pas aimer le prochain ? Le psaume affirme : « Je confesse que je suis une vraie merveille » (Psaume 139,14). Il
est évident que cet amour de soi n'a rien de narcissique. Il nous interroge sur
le regard que nous avons sur nous-mêmes.
S'aimer soi-même, c'est rendre grâce pour ce
que je suis. Cela suppose de notre part de commencer par repérer nos qualités,
nos compétences, ce qui à travers nous suscite la vie chez les autres. De façon
étonnante, celui à qui on demande ses qualités semble souvent gêné. Pourtant,
nous avons à repérer le "positif" en soi. Cela fait partie du regard
honnête que l'on doit porter sur soi. Bien loin de favoriser l'orgueil, s'aimer
soi-même c’est rendre grâce pour ce que le Seigneur nous a donné et que nous
avons la responsabilité de faire fructifier.
Nous avons bien évidemment à prendre
également en compte nos défauts, nos limites, ce qui à travers nous freine la
vie chez les autres. Il ne s'agit pas de se lamenter ou de se promettre à
soi-même de changer – nous en mesurons souvent la grande difficulté malgré
notre bonne volonté – mais de rendre grâce à Dieu qui nous rejoint dans ce qui
est "négatif" en soi pour nous rendre capables peu à peu, et avec sa
grâce, de nous convertir.
S’aimer soi-même, c'est également rendre
grâce pour le possible qui est en soi. Ce que nous sommes ne se réduit pas à
nos réussites et à nos échecs. Cela rejoint le regard que Dieu lui-même a sur
nous. Ainsi donc, aimer son prochain comme soi-même, c’est aimer comme Dieu. Cela
n’est possible que si nous commençons par laisser Dieu nous aimer pour
apprendre de lui à aimer chacun, en commençant par soi.
Père Bruno