Fête de la Nativité du Seigneur - année A
24 décembre 2013
Les
textes du jour
« Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande
lumière. Sur ceux qui habitent le pays de l'ombre une lumière a resplendi. » Il
y aurait donc une lumière qui fasse reculer les ténèbres et disparaître l’ombre
? Pourtant depuis que le prophète Isaïe a fait cette promesse, il y a plus de
27 siècles, il ne manque pas de situation où les ténèbres semblent s'installer
durablement sans qu'aucune lumière, aucune action divine, n’y mette un terme :
ténèbres de la guerre, du chômage, de la maladie, de la faim…
Il
y a sans doute une ténèbre plus profonde, une ombre plus
intense. Il
nous arrive bien souvent d’être dans la situation de cet
homme dont le conte de
Noël écouté au début de notre veillée
racontait l’histoire. Calfeutré chez lui,
ruminant en lui-même ses pensées, il est incapable
d’ouvrir son cœur à ce
ramoneur qui vient le visiter. Quand le jeune garçon lui
présente la pierre
précieuse, il ne regarde que la suie qui la couvre. Telle est la
ténèbre la
plus sombre qui finit trop souvent par nous enfermer sur
nous-mêmes : celle de
l'indifférence, l’indifférence à
l’autre, l’indifférence au trésor qu’il
y a en
lui.
C'est lorsque nous commençons à être indifférents au trésor qu’il y a en
l’autre que celui-ci peut être perçu peu à peu comme un ennemi ; c’est lorsque
nous commençons à être indifférents au trésor qu’il y a en soi que nous nous
réfugions dans une recherche tous azimuts du plaisir immédiat ; c’est lorsque
nous commençons être indifférents au trésor de Dieu que nous nous mettons nous-mêmes
au centre et devenons notre propre maître ?
Le pape François dans sa très belle exhortation sur la joie de
l’Évangile qu’il vient de nous donner commence par ce constat : « Le grand
risque du monde d’aujourd’hui, avec son offre de consommation multiple et
écrasante, est une tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et
avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience
isolée. Quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a
plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la
voix de Dieu » (Evangelii Gaudium, 2).
C’est
bien le sens de ce conte que nous avons écouté. A la fin
du récit,
qu’importe la pierre précieuse puisque celui qui raconte
son histoire a
découvert la joie qui naît de toute rencontre vécue
avec le cœur. Et ce bien-là
est encore plus précieux. Au fur et à mesure que
l’homme se met en route et
ouvre son cœur, il est capable de reconnaître le
trésor qu’il y a en lui et
chez les autres. Jésus lui-même l’affirme : «
Là où est ton trésor, là aussi
sera ton cœur » (Mt 6,21). A l’inverse,
l’indifférence au trésor caché en tout
homme engendre la tristesse individualiste.
Regardez votre voisin, celui qui est assis à côté de vous. Peut-être ne
le connaissez-vous pas mais commencez par vous dire : cet homme, cette femme
assis à côté de moi est précieux. Il compte pour Dieu. S’il est important pour
Dieu, alors il peut devenir important pour moi. Quand nous avons pris place
dans cette salle, avons-nous eu le souci de saluer ceux qui sont installés à
côté de nous et que nous ne connaissons pas ? Ne pas l'avoir fait, c'est
laisser l’indifférence prendre le dessus, c’est laisser l’ombre gagner du
terrain à cause de la distance que nous mettons avec notre voisin, c’est laisser
la tristesse individualiste prendre possession de notre cœur.
Quelle est alors la lumière qui peut faire reculer cette indifférence ?
« Je vous annonce une grande joie », proclame l'ange aux bergers, et à
nous cette nuit. Cette joie, avant d'être une joie pour nous, c'est la joie
qu’éprouve Dieu. Qu'est-ce ce qui met Dieu en joie ? C’est qu’à ses yeux nous
sommes précieux. « Tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur et je t'aime »
lisons-nous dans la livre d’Isaïe (Is 43,4). La joie de Dieu, c’est de nous
aimer ! de nous aimer gratuitement ! Telle est la grande nouvelle de la nuit de
Noël : Cet enfant qui est né nous dit la joie de Dieu de nous aimer non pas
pour ce que nous faisons mais pour ce que nous sommes ! Nous sommes précieux
pour Dieu. Chacun est précieux dans le cœur de Dieu. C'est bien cette certitude
qui met fin à l’indifférence. C’est bien cette lumière de la foi de Dieu en
nous qui fait reculer la ténèbre de nos indifférences, à la mesure de l’accueil
que nous lui réservons, à la mesure de la foi que nous avons en Dieu.
Et ce n’est pas tout ! « Tu as fait grandir la joie », poursuit Isaïe,
dans la première lecture. Ce qui fait grandir la joie c’est de communiquer à
l'autre qu’il est important. Il ne suffit pas de se dire : l'autre a du prix
pour Dieu, encore faut-il le lui dire. Comment se fait-il que nous ayons tant
de mal à nous dire nos qualités mutuelles. Nous sommes plus habiles pour
critiquer que pour complémenter. Jamais Dieu ne critique. Bien au contraire, il
voit en nous ce qu'il y a de beau. Il n’a de cesse de vouloir nous le révéler
et de nous apprendre à le reconnaître en l'autre. Si seulement chacun de nous
cette nuit pouvait accueillir ce qui met Dieu en joie et qu’il nous révèle à
travers l’enfant qui est né : il y a un trésor dans le cœur de tout homme.
Alors nous serions dans une joie profonde. Et si en plus nous décidons de
révéler à ceux que nous rencontrons la réalité de ce trésor, alors notre joie
grandira.
Oui, cette nuit, un enfant nous est né. Ne nous y trompons pas. Il ne
s’agit pas simplement du rappel d'un évènement du passé. Si c'était le cas nous
serions alors là simplement pour fêter un anniversaire, l'anniversaire de la
naissance de Jésus. Mais c’est bien de nous-mêmes dont il est aussi question.
Jésus parle souvent des enfants, nous invitant même à redevenir comme eux. Nous
le savons bien, la force de l'enfant est sa capacité à s'émerveiller. Ainsi
quand nous entendons « un enfant nous est né », comprenons bien le sens de
cette annonce : la joie qui nous est annoncée cette nuit Noël, la certitude de
nous découvrir aimés de Dieu, réveille en nous notre cœur d'enfant, notre
capacité à nous s'émerveiller de nous-mêmes et des autres. Cette nuit, l'enfant
qui est en nous renaît à l'amour de Dieu pour que nous aimions nos frères et
nous émerveillions d’eux. C'est ainsi que la lumière resplendit sur les
ténèbres.
Et la bonne nouvelle qui retentit cette nuit ne s’arrête pas là : « Un
fils nous est donné ». Entendons bien cette phrase ! Gravons-la dans notre
cœur. Un fils nous est donné ! C'est un cadeau puisque ça nous est donné. Cette
nuit, Dieu ne fait pas que nous dire que nous avons du prix pour lui, qu’il y a
un trésor en chacun de nous. Cette nuit, Dieu nous fait un cadeau. Et pas
n'importe quel cadeau : il nous donne son fils ! Vous ne trouvez pas cela de la
folie. Alors que nous le connaissons mal ou si peu, il nous fait un cadeau.
Aurions-nous l'idée de faire un cadeau à quelqu'un qui ne nous connaît pas ?
Nous nous préoccupons des cadeaux pour des personnes qui nous connaissent, lui
Dieu nous offre son fils même si nous sommes indifférents à lui. Cette nuit, en
Jésus-Christ, il se donne à nous gratuitement. Nous entendions dans la deuxième
lecture : « Jésus s’est donné pour nous. » Ce soir nous allons recevoir le plus
beau des cadeaux, non pas quelque chose mais quelqu'un.
Et comme tout cadeau, il dépend de nous de savoir ce que nous allons en
faire. Je vous souhaite pourtant de prendre soin de ce cadeau. Prenez soin du
Christ puisqu’il vous est donné. Qu’est-ce à dire ? Ne le laissez pas de côté !
Beaucoup parmi nous viennent occasionnellement ce soir parce que c’est la nuit
de Noël. Et votre présence est vraiment un beau cadeau que vous faites à la
communauté chrétienne qui se retrouve ici régulièrement. Mais que personne ne
reparte d’ici en oubliant sur place celui qui nous est donné. N’attendons pas
l’année prochaine pour nous occuper du Christ ! Pris par nos multiples
occupations, nous risquons de l’oublier dans un coin de notre cœur. Or il nous
est donné !
Prendre soin du Christ, puisqu’il nous est donné, c’est passer du temps
avec lui. Lui-même se présente à nous comme un ami. Ne passons pas à côté de
son amitié. C’est le cadeau qu’il nous fait cette nuit. Il ne nous décevra pas.
Il y a une telle joie à vivre une familiarité, une intimité avec lui. Mais par
peur qu’il nous dérange ou bien parce que nous voulons calculer notre confiance
avec lui, nous le maintenons à distance. N’ayons pas peur de prendre du temps
pour demeurer dans sa présence. C’est ainsi que notre vie portera beaucoup de
fruits.
Prendre soin du Christ, puisqu’il nous est donné, c’est sortir de soi et
aller à la rencontre de l’autre pour prendre soin de lui. Le Christ nous attend
dans le cœur du frère. Si le Christ se donne à nous c’est pour que nous
puissions à notre tour le donner. Nous ne pouvons pas accueillir le Christ dans
notre vie et rester indifférents à la souffrance de tant d’hommes et de femmes
à cause de l’égoïsme des hommes. La tentation du découragement guette chacun
d’entre nous. En se donnant à nous, le Christ nous invite toujours à courir
joyeusement le risque de la rencontre avec le visage de l’autre.
Prendre soin du Christ, puisqu’il nous est donné, c’est décider à notre
tour de donner notre vie. C’est devenir cadeau les uns pour les autres, don les
uns pour les autres. Le plus beau cadeau que nous pouvons faire à quelqu'un
c’est l’offrande de nous-mêmes. N’allons pas croire que cela est compliqué,
réservé à quelques spécialistes. Il suffit simplement de faire passer les autres
avant soi. La vie augmente quand elle est donnée et elle s’affaiblit dans
l’isolement et l’aisance. J’invite chacun d’entre nous ce soir à choisir une
personne de son entourage qu’il connaît peu et d’aller la visiter en lui
donnant gratuitement de son temps. Voilà qui fera grandir la joie ; et c’est
tellement simple !
« Un enfant nous est né ; un fils nous est donné ! » Telle est notre
joie, cette joie qui remplit notre cœur cette nuit.
Père
Bruno