Nuit de Noël - année C 24 décembre 2012
Les
textes du jour
Ce récit que nous entendons chaque nuit de Noël finirait presque par devenir un conte, une légende, et les crèches de nos maisons simplement des objets décoratifs. Ce récit peut-il encore nous dire quelque chose cette nuit tant il nous semble le connaître ? Il y a pourtant un manque dans ce texte qui devrait nous étonner, nous alerter. Avez-vous remarqué ce manque ?...
Tout commence par la force et la puissance de l’autorité en place. L’empereur de Rome, sans doute pour affirmer sa gloire, veut recenser son peuple ; il veut compter le nombre de personnes sur qui il exerce son autorité. C’est alors que notre regard se porte sur un jeune couple qui se met en route pour se faire recenser. Rien ne le distingue des autres couples, si ce n’est qu’elle est enceinte et accouche de son premier-né. Mais le texte ne s’attarde pas plus que cela sur cette naissance. Par contre, il s’arrête longuement sur des bergers qui passent la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux, des petits considérés comme moins que rien à l’époque.
Nos esprits cartésiens butent sur la suite du texte car il est question d’un ange, puis d’une troupe céleste innombrable. Ce qui pourrait passer pour du merveilleux ne retient guère notre attention et, par manque de foi, nous mettons cela sur le compte d’une légende. Ne trouvez-vous pas alors que quelque chose manque dans ce texte ? La lecture du récit, la nuit de Noël, s’arrête là, laissant au texte un goût d’inachevé. Que se passe-t-il ensuite ? Les bergers vont-ils aller voir ce nouveau-né ? La suite du texte sera lue demain, à la première messe du jour de Noël.
Le récit s’arrête cette nuit sans que nous sachions ce que font les Bergers. Pourquoi ? Parce que ce texte n’est ni une légende, ni le récit d’une histoire vieille de 2000 ans. Non, c’est aujourd’hui, cette nuit que ce texte s’accomplit dans notre cœur. Cette nuit, nous sommes comme ces bergers. Chacun de nous est venu ici, ce soir, avec ses préoccupations, ses questionnements et nous avons peut-être l’impression d’être dans le flou quant à notre avenir, à celui de notre monde. Ce n’est plus l’empereur de Rome qui gouverne le monde, mais nous avons le sentiment d’être dépassés par tout ce qui nous gouverne, nous échappe aujourd’hui.
La fête de Noël ne serait-elle qu’une parenthèse dans notre quotidien, mettant un peu de merveilleux dans la nuit de nos combats ? Non, bien sûr ! Car, puisque nous sommes les bergers de cette nuit, c’est à nous de décider comment va se terminer le récit que nous venons d’entendre. Qu’allons-nous faire ? Pour cela, revenons à ce qui arrive à ces bergers, à ce qui nous arrive cette nuit. L’Ange du Seigneur – c’est-à-dire Dieu lui-même – s’approche, se rend proche de chacun de nous ce soir. La nuit de Noël, Dieu s’approche de l’humanité, s’approche du cœur de l’homme. Et nous resterions insensibles à cette proximité ? Ce n’est pas avec la tête que nous accueillerons le mystère de Noël. Alors pour une fois, ouvrons largement notre cœur à celui qui s’approche, doucement, sans vouloir nous effrayer.
Cette nuit, le Seigneur est là, tout proche… Comment le reconnaître ? Là encore lisons le texte : « La Gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière ». Celle nuit, la gloire du Seigneur enveloppe chacun de nous de sa lumière. Pas d’effets spéciaux pourtant. La gloire du Seigneur n’a rien à voir avec celle dont l’empereur de Rome voulait être admirée. La gloire, dans la Bible, exprime le rayonnement de l’amour de Dieu. Cette nuit Dieu nous enveloppe par tout son amour. La Gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière.
Dieu ne vient jamais avec violence, et celui qui espère un Dieu tout-puissant qui fasse reculer les limites de l’homme et de la création ne pourra qu’être déçu. Dieu frappe à la porte de notre cœur, cette nuit, avec pour seule puissance celle de son amour offert gratuitement. Le signe de sa gloire, de cet amour, est cet enfant nouveau-né. Spontanément nous cherchons la gloire du côté de la performance et il n’y a plus de place dans notre vie pour la vulnérabilité et pour la fragilité. La gloire de Dieu révèle la gloire de l’homme à travers un nouveau-né ; la gloire de Dieu c’est l’homme vivant d’amour, vivant de tendresse, mais pas n’importe quel amour, pas n’importe quelle tendresse. Que dit alors l’ange ? Cette gloire enveloppe les bergers. Or on enveloppe les choses auxquelles nous tenons. Si la gloire de Dieu nous enveloppe, c’est que nous sommes précieux dans son cœur. Voilà ce que nous révèle cet enfant qui nous enveloppe de tendresse. Dieu a de l’affection pour chacun de nous. Et c’est bien de cela que beaucoup d’entre nous manquent. Ce que Dieu aime en nous, ce n’est pas d’abord ce que nous faisons, mais bien ce que nous sommes. La Gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière.
La gloire de Dieu révèle à chacun son unicité. Et ce qui nous rend unique, c’est notre façon d’aimer en vérité. Suis-je capable de reconnaître ce qui me rend unique ? Parents, ayez à cœur de dire à vos enfants ce qu’il y a de précieux en eux, avant de leur dire comment ils doivent progresser. C’est aussi vrai dans la vie de couple, mais aussi dans tous nos lieux de vie. Quand nous nous laissons envelopper par la gloire de Dieu, nous devenons capables de découvrir ce qu’il y a de précieux, d’unique en l’autre. Imaginez qu’en reprenant le travail dans les prochains jours, vous commenciez à dire à vos collègues de travail ce que vous trouvez de beau en eux. Alors oui ! La gloire de Dieu sera rendue visible ! Vous aurez remarqué que si la gloire de Dieu enveloppe l’homme, l’amour de Marie enveloppe le nouveau-né de langes. Nous avons cette capacité à envelopper Dieu de notre amour. Cette nuit de Noël, prenons du temps pour dire à Dieu que nous l’aimons, qu’il est précieux pour nous. Avez-vous déjà vu une mère en train de changer son enfant. Il y a souvent une complicité de regard et un débordement de joie. Voilà ce que Dieu ressent quand il nous enveloppe de sa gloire ; voilà ce que nous ressentons en enveloppant Dieu de notre amour. Cette nuit, osons l’audace de la foi, osons l’audace de la confiance en ce Dieu qui non seulement s’approche de nous mais nous enveloppe de son amour ! La Gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière.
Quand nous accueillons l’amour de Dieu, notre vie s’en trouve illuminée. Pas de façon superficielle ! Il ne s’agit pas d’un flash instantané, mais d’une lumière intérieure qui révèle le sens de ce que nous sommes, qui éclaire ce qu’il y a de beau en chacun, qui éclaire la richesse de notre cœur. Happé par le temps, nous vivons souvent à la périphérie de nous-mêmes et nous courons vers un idéal de nous-mêmes que nous n’atteindrons jamais. Nous risquons alors d’avancer dans la vie sans être ajustés à nous-mêmes. Il reste en nous un goût d’insatisfaction. L’amour de Dieu est comme une lumière qui nous éclaire intérieurement. Mais il n’y a plus de place dans notre monde pour l’intériorité. Alors nous prenons le risque de construire notre vie à côté de nous-mêmes, nous risquons surtout de ne pas prendre le temps d’accueillir les autres pour eux-mêmes, gratuitement. A force de courir, nous oublions d’être attentifs à cette vie que se déploie en nous et chez les autres. Dieu promet à chacun une vie qui porte du fruit, parfois à travers des chemins inattendus ! N’oublions pas d’être à l’écoute de notre cœur, de sa richesse intérieure ! N’oublions pas de révéler aux autres la richesse que nous décelons dans leur cœur. Comment reconnaître cette lumière ? Là encore, regardons le nouveau-né : il est couché dans une mangeoire. Sitôt né, il est donné en nourriture. La grandeur de notre vie se déploie dans le don de soi. Il ne sert à rien de tenir la lumière captive. La lumière est faite pour jaillir ! Notre vie ne sera belle qu’en se décentrant de nous-mêmes, en décidant de donner de nous-mêmes, de nous donner nous-mêmes aux autres. La Gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière.
Beaucoup se demandent sans doute où est Dieu. Le scandale de notre temps n’est pas d’avoir perdu Dieu, mais d’avoir perdu l’homme, ou du moins de faire de l’homme un objet, un objet de production, un objet de consommation, voire même un objet de séduction. Cette nuit, Dieu se fait petit enfant. Qui aurait peur d’un nouveau-né ? Bien au contraire, en se faisant petit enfant, Dieu veut susciter en nous l’émerveillement. Il veut nous apprendre à retrouver le langage du cœur. En se faisant petit enfant, Dieu inverse toutes nos échelles de valeur ! Appel pour chacun d’entre nous à considérer là où nous mettons notre gloire, notre ambition ! On s’imagine toujours qu’il faut être capable d’être à la hauteur de tout et de tous, sous peine d’exclusion, quitte à renoncer à une part de soi-même, quitte à faire taire en soi le désir de la simplicité et la force de la sensibilité. Nous aimerions pouvoir maitriser toute chose par la technique, nous rêvons de faire reculer toujours plus loin les limites de la nature humaine, nous imaginons que décider du moment ultime de notre vie est une liberté, nous pensons que défendre l’égalité c’est revendiquer un droit à faire que toutes choses se valent dans la mesure où elles ne nuisent pas aux autres. Bâtir une société sur cette gloire, c’est penser que l’homme peut se sauver tout seul, c’est mentir à l’homme ! La Gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière.
Le signe qui nous est donné, c’est ce nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une mangeoire. Et cet enfant nouveau-né, l’ange déclare même qu’il est le Sauveur. Toute la vie de celui qui vient de naître ne sera qu’amour, amour donné, amour offert, amour bafoué, amour trahi, amour crucifié. Alors qu’il a passé sa vie à faire le bien, les hommes ont voulu le faire sortir de leur vie tant sa manière d’aimer bousculait l’ordre établi. Seul l’amour nous sauvera de nos égoïsmes, de nos enfermements. Mais pas un amour à n’importe quel prix, un amour de don sans retour, un amour gratuit et sans condition, un amour vrai avec nous-mêmes et avec les autres.
Il n’y a que Dieu pour nous aimer ainsi et pour nous apprendre à aimer davantage comme lui. La force du Sauveur qui vient de naître est tout entier contenue dans son amour pour tout l’homme, pour tout homme. C’est un peu comme si cette nuit Dieu redisait à chacun d’entre nous, à toute notre humanité : « Tu veux être heureux, alors recherche le vrai bonheur, celui qui te fera grandir en servant tes frères. Pour tendre vers ce bonheur, accueille dans ta vie ce nouveau-né, accueille le Christ. Il te conduira de façon sûre sur le chemin de la vraie gloire, celle de l’amour plus fort que toute mort. » A chacun, Dieu redit ce soir, « approche-toi de ce nouveau-né, contemple-le, laisse-toi aimé et choisis de construire ta vie avec lui. Lui ne te décevra jamais, comme toi tu ne le décevras jamais » Elle est là la joie de Noël. « Je viens vous annoncer une grande joie » affirme Dieu à chacun cette nuit.
Cette nuit, la gloire du Seigneur nous enveloppe de sa lumière, de son amour ; l’enfant nouveau-né est déposé dans une mangeoire en nourriture pour que nous ayons la vie. Dieu s’approche, Dieu parle à notre cœur, Dieu s’offre à nous à travers l’enfant de la crèche. Tout est dit dans ce récit. Mais il reste à l’homme de faire le pas, de s’approcher du nouveau-né, de lui parler avec son cœur, de s’offrir à lui, même maladroitement. C’est à chacun de nous de poursuivre le récit entendu cette nuit. Allons-nous nous mettre en route comme les bergers pour voir ce qui leur avait été annoncé. Ne passez pas devant la crèche sans dire « oui » à Dieu, sans lui dire votre volonté d’accueillir ce nouveau-né dans votre cœur pour le laisser guider votre vie. La Gloire du Seigneur nous enveloppe de sa lumière. Un Sauveur nous est né !
Père Bruno
Père Bruno