Jeudi saint - année C 1er avril 2010
Les
textes du jour
« Jésus
les aima jusqu’au bout. » Ce soir, nous célébrons le jusqu’au bout de
l’amour, cet amour jusqu’à l’extrême de Jésus pour chacun en particulier.
Jusqu’à l’extrême du don de soi tel que Jésus le révèle sur la croix mais aussi
amour qui atteint jusqu’à l’extrême du péché en l’homme, non pour le juger et
le sauver. Y a-t-il eu un échange de regards entre Judas et Jésus quand Jésus
s’est agenouillé devant lui ? Nous n’en savons rien mais nous ne pouvons pas
douter de l’amour jusqu’à l’extrême avec lequel Jésus a lavé les pieds de
Judas.
Ce jusqu’au bout de l’amour s’exprime à
travers des mots qui nous dépassent : « ceci
est mon corps livré pour vous » ; « ceci
est mon ce sang versé pour vous ». Mais le Christ ne s’arrête pas là, il
ajoute : « Faites ceci en mémoire de
moi ». Depuis deux mille ans, par l’intermédiaire de ceux qui sont ordonnés
prêtres, ce sont toujours ces mêmes paroles qui sont prononcées. Lorsqu’ils
refont ces gestes et redisent ces paroles, les prêtes, quelles que soient leurs
faiblesses, donnent au pain et au vin de devenir réellement le corps livré pour
nous, le sang versé pour nous du Ressuscité.
Ces mots de la consécration devraient, à
chaque fois que nous les entendons, nous saisir au plus profond de nous-mêmes.
Le curé d’Ars ne disait-il pas : « Oh !
Que le prêtre est quelque chose de grand ! S’il se comprenait, il mourrait
». Le prêtre est l’homme qui porte un autre en osant dire un "je" : «
je te pardonne » ; « ceci est mon corps » ; « ceci est mon sang ». S’il
n’y avait plus de prêtres, l’homme ne vivrait plus de ce corps livré pour lui.
Le père Chevrier disait du prêtre : « c’est
un homme donné, un homme mangé ». Un homme mangé parce que le prêtre est
l’homme de l’Eucharistie.
Sa mission est d’intercéder pour son peuple,
pour la communauté qui lui a été confiée. Il ne tire pas sa force d’une
compétence qu’il aurait acquise mais de la grâce qu’il a reçue le jour de son
ordination. C’est en s’effaçant humblement devant la grâce reçue que, par
l’Esprit Saint, le Christ se donne à nous à chaque Eucharistie, à travers les
mots que prononce le prêtre. C’est pourquoi, hier à la messe Chrismale, le
cardinal Barbarin s’adressait en ces termes à l’assemblée : « Priez pour vos prêtres : que le Seigneur
répande sur eux ses dons en abondance afin qu’ils soient les fidèles ministres
du Christ, souverain prêtre, et vous conduisent à lui, l’unique source du salut
». La mission du prêtre est de conduire au Christ la communauté qui lui a été
confiée.
Si nous pouvons comprendre le jusqu’au bout
de l’amour du Christ, il nous est donné d’en vivre par l’intermédiaire du
prêtre. Chaque fois que nous participons à l’Eucharistie, nous participons au
jusqu’au bout de l’amour. La joie du prêtre ne lui vient pas alors d’abord de
ce qu’il fait mais de sa mission de révéler la vie de Dieu en tout homme, de
l’éveiller et parfois aussi de la réveiller, cette vie qui fait de lui un
vivant. Quelle joie de permettre à quelqu’un de repérer la vie qui est déjà en
lui, que parfois, les blessures, les soucis du monde, le péché ont étouffé.
C’est dans ce sens que le prêtre est lui
aussi appelé à aller, enraciné au Christ, jusqu’au bout du don de soi, entre
autres, à travers le célibat consacré. Car sa joie est dans l’offrande de
lui-même au Christ pour la vie de ceux qui lui sont confiés. C’est ce qui
faisait dire au Cardinal Danneels : le prêtre n’est pas un délégué de Dieu, il
n’est pas un instrument du Christ : le prêtre est l’icone du Christ pour sa
communauté.
A la suite du Christ, il intercède pour que
toute la communauté soit une éternelle offrande à la gloire de Dieu (cf. prière
Eucharistique n°III). C’est pourquoi, s’il est important de prier pour qu’il y
ait des prêtres, il est tout aussi important de prier pour qu’il y ait des
communautés appelantes. Notre communauté de Sainte Blandine du Fleuve est-elle
suffisamment animée du désir d’être une éternelle offrande à la gloire de Dieu
pour que des jeunes entendent en son sein l’appel à devenir prêtre ?
Mais Jésus nous donne également ce soir un
second commandement, équivalent à celui de « faire ceci en mémoire de moi » : « Vous aussi vous devez vous laver les pieds les
uns aux autres ». Ces deux commandements sont comme les deux facettes
d’une même réalité : l’offrande de soi qui s’enracine dans celle du Christ
et culmine dans un amour qui va jusqu’au bout pour ses frères. On ne peut pas
aimer le Christ si on n’aime pas son frère ! On ne peut pas servir le
Christ si on ne sert pas son frère !
Le geste du lavement des pieds que pose
Jésus juste avant son arrestation signifie que tous nous sommes appelés à nous
laver les pieds les uns aux autres, c’est-à-dire à être serviteurs les uns des
autres. Offrir sa vie à Dieu commence par servir ses frères. Ce soir, en
célébrant le jusqu’au bout de l’amour, nous sommes appelés à rendre grâce pour
le corps du Christ livré pour nous et rendu présent par le prêtre, mais nous
sommes également appelés à nous engager concrètement au service de nos frères.
Car le frère est aussi le sacrement du Christ, comme l’est l’Eucharistie.
Avant de vivre l’Eucharistie, la liturgie de
ce jour nous fait vivre le geste du lavement des pieds. Cela met en évidence le
lien entre la charité fraternelle et la communion eucharistique. C’est pourquoi
j’ai fait le choix de laver les pieds à douze membres de notre communauté
représentant les différents âges mais aussi quelques-unes des missions que
certains remplissent fidèlement au service de notre communauté. Nul ne peut se
satisfaire de contempler le Christ dans l’Eucharistie s’il ne s’engage pas à
servir le Christ dans la rencontre du frère. Jésus en a fait une exigence à
Pierre qui refusait de le voir à genou devant lui : « Si je ne te lave pas, tu n’auras point de part avec moi ».
Par-delà ce geste dont Jésus nous dit que
c’est un exemple qu’il nous a donné pour que nous fassions nous aussi comme il
a fait pour nous, nous sommes tous appelés à nous mettre à genou les uns devant
les autres. Il n’est pas question de vouloir s’écraser, ni de vouloir
simplement rendre service, il s’agit de se faire serviteur de son frère. Qu’à
travers ce geste qui va suivre, nous nous émerveillions de ce que le Christ se
mette à genou devant chacun. Et demandons alors pour nous-mêmes la grâce de
vivre cette même attitude. Nous ne pourrons la vivre dans toute sa vérité
qu’enracinés au Christ, en communiant à son corps livré, à son sang versé.
En communiant au jusqu’au bout de l’amour…
Père Bruno