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Nativité du Seigneur                25 décembre  2011

« Aujourd’hui, vous est né un Sauveur ! »

Mais au fait, avons-nous besoin d’un Sauveur ? Et pour être sauvé de quoi ?

Normalement, nous avons besoin d’un Sauveur pour nous délivrer d’un danger immédiat, d’une catastrophe imminente. Fort heureusement, peu parmi nous sont à une telle extrémité. Par contre, si un Sauveur venait nous sortir de cette crise dont personne ne sait où elle va nous conduire, il serait le bienvenu ! Mais nous savons bien que ce n’est pas ainsi que les choses se passeront. De toute façon, nous sommes bien convaincus que c’est à nous, personnellement et communautairement, de tout mettre en œuvre pour que notre monde soit plus viable pour tous. Un sauveur magicien n’a pas de place dans notre monde. Ce serait contraire à notre responsabilité.

Non, décidément, il n’y a pas de place dans notre monde actuel pour un Sauveur.

Que de progrès l’homme a-t-il été capable de faire dans la compréhension et la maitrise de la nature. A-t-il besoin d’un Sauveur, l’homme qui cherche à faire reculer les limites actuelles de la science ou de la médecine ? A-t-il besoin d’un Sauveur, l’homme qui grâce aux communications interactives est capable d’être en relation avec n’importe qui sur terre ou d’accéder à un savoir de plus en plus universel ? A-t-il besoin d’un Sauveur l’homme qui peut décider qui doit naître ou qui veut décider quand il pourra mourir ?

Non, décidément, il n’y a pas de place dans notre monde actuel pour un Sauveur.

Beaucoup de nos contemporains estiment que c’est à l’homme de se sauver lui-même. Quand l’homme se perçoit de plus en plus puissant, capable de tout, pourquoi chercher chez un autre ce qu’il croit pouvoir réaliser par lui-même ? Pourquoi serait-ce à un autre de me sauver quand c’est à moi de décider de ma vie ? Au nom même de ce qui s’appelle l’expression libre de l’individu et de sa vérité, il n’y a que moi qui puisse me sauver. Alors quand nous entendons dans l’Evangile de cette nuit que ce Sauveur est un bébé, cela prête vraiment à rire !

Non, décidément, il n’y a pas de place dans notre monde actuel pour un Sauveur.

Si nous ne sommes pas à la recherche d’un Sauveur, nous sommes par contre à la recherche du bonheur. Tous nous voulons être heureux ! Dans quelques jours nous échangerons des vœux de bonheur les uns pour les autres. Etre heureux, c’est être en bonne santé, être bien en famille, s’épanouir le plus possible dans ce qu’on fait, gagner suffisamment d’argent… Nous essayons sans doute aussi de rendre les autres heureux, au moins ceux qui nous sont chers. La perspective de notre vie est alors d’être heureux et non d’être sauvé.

Ce qui explique sans doute qu’il n’y a pas de place dans notre monde actuel pour un Sauveur.

De quoi donc aurions-nous besoin d’être sauvé ? De quelque chose ? Pas vraiment ! De qui alors ? Des autres ? C’est à nous de décider de vivre en frères et de tout mettre en œuvre y parvenir ! Et si c’était de nous-mêmes que nous avions besoin d’être sauvés ? Ce qui supposerait que j’ai vraiment envie d’être sauvé. Pour quel bien le plus précieux en moi Dieu a-t-il fait le choix de se faire l’un de nous et de nous dire en cette nuit : « Aujourd’hui un Sauveur est né pour toi ».

Ce bien le plus précieux n’est pas quelque chose que l’on possède jalousement. Ce bien le plus précieux est notre cœur, notre capacité à aimer. Tous, nous faisons l’expérience d’être maladroits à aimer, nous connaissons notre difficulté à aimer gratuitement ceux qui nous sont chers, sans parler d’aimer ceux qui nous haïssent.

Il n’y a pas d’école pour cela, mais il y a quelqu’un, nous dit Dieu cette nuit : « Moi le Dieu d’amour, le Dieu qui n’est qu’amour, je me fais homme pour t’apprendre à aimer davantage comme j’aime, comme je t’aime ». En devenant l’un de nous, Dieu nous manifeste sa volonté de libérer notre cœur. Nous avons souvent sur nous-mêmes et sur les autres un regard réducteur qui limite la valeur de la personne à ce qu’elle réussit. C’est important de réussir mais Dieu ne cesse de nous redire que notre vraie valeur est dans notre capacité à aimer.

N’avons-nous pas le sentiment que l’homme devient de plus en plus un objet de consommation, un objet de production, un objet soumis à des règles économiques qui semblent le dépasser, un objet que l’on peut exclure lorsqu’il n’est plus productif, que l’on peut déplacer en le forçant à quitter sa terre. L’enfant de la crèche vient nous sauver de cette logique où l’homme est de plus en plus objet. Ce n’est plus alors le Sauveur qui n’a plus sa place dans le monde actuel, c’est l’homme lui-même lorsqu’il est faible et démuni.

Trop souvent c’est la peur qui fausse notre amour et altère notre confiance en l’autre, en soi : la peur de l’autre qui est différent ; la peur du regard des autres ; la peur de ce que les autres pensent de soi. Il y a aussi la comparaison qui entraîne la jalousie et le jugement. Il y a surtout la difficulté de reconnaître et d’accepter notre propre fragilité.

Nous risquons parfois de construire notre vie à côté de nous-mêmes, en fonction d’un idéal que nous rêvons d’atteindre. Nous ne prenons alors jamais le temps de reconnaître la beauté du cœur qui est en nous. Le Sauveur de cette nuit vient libérer notre cœur, il vient nous apprendre à retrouver le chemin de la tendresse et de la simplicité.

C’est pourquoi ce Sauveur se présente d’abord à nous comme un enfant, un nouveau-né. N’avez-vous jamais remarqué comment tout nouveau-né a cette capacité de faire jaillir l’élan de notre cœur. Quand nous sommes devant un nouveau-né, nous ne le comparons pas, nous savons qu’il ne nous jugera pas. Alors, sans hésitation, nous laissons parler notre cœur. Contempler un nouveau-né nous révèle le chemin de notre cœur qui s’émerveille devant la fragilité et la beauté de cet être. Contempler un nouveau-né suscite en nous un cœur capable d’émerveillement.

Mais, bien sûr, ce Sauveur de la crèche va grandir. Durant toute sa vie Jésus ne cesse de révéler aux malades, aux pêcheurs, aux exclus la beauté intérieure qu’il y a en eux. Comment s’y prend-il ? En donnant la vie à mains pleines, jusqu’à donner sa propre vie par amour. Le Christ nous sauve de nous-mêmes en se livrant totalement par amour entre nos mains et libérer ainsi l’élan de notre cœur.

Le vrai bonheur, celui qui nous ouvre aux autres et non celui qui nous centre sur nous-mêmes et masque ainsi le salut proposé par Dieu, le vrai bonheur se déploie dans le don de soi, par amour de ses frères. C’est ce chemin que le Sauveur de la crèche ouvre en chacun de nous cette nuit, un chemin que lui-même parcourra jusqu’à la croix. Laissons-nous fasciner par le Christ, par son amour que rien n’arrête, pas même le mal que lui fait l’homme !

Le Christ n’est ni un homme du passé ni un rival. Il nous offre son amitié aujourd’hui et nous fait découvrir que le sens de notre vie s’accomplit dans une vie donnée par amour. Souvent il n’y a pas de place dans notre monde pour un Sauveur car il n’y a plus de place pour accueillir dans sa vie Dieu qui se donne par amour pour nous apprendre à donner, comme lui, notre vie pour les autres.

Qui a envie d’être aimé ? Tout le monde, bien sûr ! Mais pas n’importe comment ! D’un amour habité par le respect et la gratuité. Etre aimé pour ce que je suis et non pour ce que l’autre attend de moi. Mais qui a envie de donner sa vie par amour des hommes ? Là, nous nous précipitons moins ! Nous préférons trop souvent une vie confortable. Le Christ vient nous sauver de la tentation du repli sur soi en dilatant notre cœur. Notre monde changera à la mesure de notre volonté de nous donner aux autres. Le Christ trace cette voie et nous y accompagne.

Ce don de soi suppose de notre part un dépouillement et l’acceptation de notre vulnérabilité. Il ne se réalisera pas par notre seule volonté, mais assuré par la confiance que nous fait le Christ. En se donnant à nous à travers l’enfant de la crèche, Dieu redit à chacun : « Laisse-moi t’aimer. Tu as du prix à mes yeux. J’ai confiance en toi ». Dieu n’a pas trouvé plus beau chemin que celui d’un nouveau-né emmailloté dans une mangeoire pour nous redire non seulement la confiance qu’il a en nous mais aussi la confiance qu’il a dans le possible qui est en chacun.

Et il n’y aurait pas de place dans notre cœur pour un tel Sauveur ?

Sans doute avons-nous installé une crèche dans notre maison. Je vous propose de ne pas la considérer comme un objet de décoration. Au contraire, en passant devant la crèche, arrêtez-vous quelques instants et contemplez l’enfant. Ecoutez-le murmurer au cœur de notre cœur : « J’ai confiance en toi, j’ai confiance au possible qui est en toi. » Et quand vous aurez enlevé la crèche dans quelques semaines, placez la Bible à sa place car Dieu ne dit pas autre chose à travers sa Parole. Ayez alors la même attitude en regardant la Bible que celle en contemplant l’enfant de la crèche.

Je vous souhaite de faire de ce Noël un temps où vous direz à ceux à qui vous offrirez un cadeau : J’ai confiance au possible qui est en toi ! » Imaginez ce que pourrait devenir une famille si ce soir, demain, dans les jours qui suivent chacun dit : « J’ai confiance au possible qui est en toi ». N’est-ce pas le plus beau cadeau que nous pouvons faire aux autres.

Cette nuit, par l’enfant de la crèche, Dieu ne nous dit pas autre chose. Oui, c’est une grande joie qui nous est annoncée : « Aujourd’hui vous est né un Sauveur ». Il n’attend qu’une seule chose, que nous lui ouvrions la porte de notre cœur.

Oui, il y a encore de la place dans notre monde actuel pour un Sauveur. Il y a l’espace de notre cœur.

Père Bruno