Croix glorieuse - année A
14 septembre 2014
Les
textes du jour
La première lecture est étonnante et ne peut que bousculer une vision que nous pourrions avoir de Dieu. Le contexte est simple : alors que Dieu avait libéré son peuple de l’esclavage, celui-ci récrimine contre Dieu car le désert est pire que l’Egypte, il n’y a ni eau, ni pain.
Première surprise : Dieu envoie contre son peuple des serpents et beaucoup meurent. Où est la miséricorde de Dieu ? Plus dramatique encore. Alors que le peuple reconnaît son péché, on aurait pu imaginer que les serpents disparaissent. Non ! Ils restent mais chacun doit regarder un serpent de bronze pour conserver la vie quand il est mordu. N’aurait-il pas été plus simple que Dieu fasse disparaître les serpents de la même manière qu’il les avait fait venir ?
Ce texte éclaire la manière dont nous sommes appelés à considérer notre nature pécheresse. « Au cours de sa marche dans le désert » : c’est bien de nous dont il est question, en pèlerinage sur terre et attendant de contempler éternellement Dieu. Face à ce péché qui nous habite et avec lequel nous faisons souvent bon ménage, il est normal que Dieu nous corrige. C’est le thème de la colère de Dieu contre son peuple tel que l’Ancien Testament le décrit dans de nombreux passages et que le Nouveau Testament ne rend pas caduc.
Et qui plus est, nous avons beau reconnaître notre péché, le confesser et essayer de lutter contre lui, il est fréquent que celui-ci continue à nous entrainer dans notre chute. Pourquoi Dieu ne nous empêche-t-il pas de retomber dans le péché pour lequel il nous a donné son pardon ? La réponse de Dieu est limpide : le serpent de bronze du désert préfigure la croix planté au cœur de l’humanité. « Tous ceux qui auront été mordus, qu'ils le regardent, et ils vivront ! » ; « afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle. »
La colère de Dieu ne s’abat pas sur nous comme une sanction ; elle se déploie en Dieu lui-même quand le Fils offre librement sa vie à son Père en portant sur lui nos péchés. Sur la croix, « le Christ souffrait dans sa chair la dramatique rencontre entre le péché du monde et la miséricorde divine. » (pape François, Evangelii Gaudium, n° 285) Le pécheur trouve la vie en regardant la croix car c’est sur la croix que le Christ prend sur lui notre péché. Nous hésitons souvent à regarder le Crucifié préférant contempler le Ressuscité. Cela se comprend mais c’est pourtant bien sur la croix que se réalise notre salut.
Gratuitement le Christ « assume » notre péché. Paul affirme même de façon brutale : « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché » (2 Co 5,21). En contemplant la croix du Christ nous découvrons que si nous avons à lutter fermement contre notre péché, celui-ci ne disparaîtra pas de notre vie par nos seuls efforts mais par l’offrande du Christ sur la croix. Tel est le plan grandiose de l’amour de Dieu !
Le psaume décrit le drame de l’humanité pécheresse (Quand Dieu les frappait, ils le cherchaient ; ils revenaient et se tournaient vers lui ; ils se souvenaient que Dieu est leur rocher ; mais de leur bouche ils le trompaient ; leur cœur n'était pas constant envers lui ; et lui, miséricordieux, au lieu de détruire, il pardonnait) et saint Jean résume en une phrase la réponse d’amour de Dieu : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique ».
C’est ainsi que nous pouvons méditer cet hymne que Paul écrit aux Philippiens : le Christ aurait pu être traité comme Dieu, mais il a préféré se dépouiller lui-même, devenir serviteur et s’abaisser jusqu’à mourir sur la croix. Pourquoi ? Pour qu’en se relevant de la mort causé par notre péché il nous entraine à sa suite par la force de sa résurrection de telle sorte que tout être vivant proclame : « Jésus Christ est le Seigneur ».
En contemplant le mystère de la croix, nous sommes amenés non seulement à contempler le mystère d’amour par lequel Dieu déploie sa miséricorde dans notre vie mais aussi à considérer le sens que nous voulons donner à notre vie pour le salut de nos frères. Il ne suffit pas de lutter contre son péché personnel ; nous sommes appelés à engager notre vie à la suite du Christ pour le salut de nos frères.
Il serait tellement plus confortable de choisir une vie à partir de nos envies, de notre désir personnel… Le disciple choisit d’engager sa vie pour le salut de ses frères. Tout comme Jésus a renoncé d’être traité comme Fils pour choisir d’être serviteur – littéralement, esclave – en se dépouillant, somme-nous prêts à nous engager radicalement dans cette vie ?
Notre monde, nos frères et nos sœurs, ont besoin de prophètes, d’hommes et de femmes ordinaires qui engagent toute leur vie pour la gloire de Dieu et le salut des hommes. Ce choix d’une vie donnée naît de la contemplation régulière et amoureuse de la croix. Sur la croix tout est dit ; tout est accompli.
C’est de la croix que naît notre vocation. Ne fuyons pas cette contemplation. Et engageons alors notre vie dans le sillon de l’amour donné qui ne garde rien pour lui-même par amour du pécheur, « car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
Père Bruno