Homélie du dimanche 24 février 2019

Luc 6, 27-38 – 7° dimanche T.O. Année C – Aimez vos ennemis !

Quand on entend cet évangile, on a l’impression de recevoir un coup à l’estomac. On en reste sonnés comme un boxeur à terre. Et puis, on tâche d’évacuer la douleur en se disant que c’est un beau texte littéraire, avec de belles formules et des images fortes. Ou, encore, que c’est un idéal accessible aux seuls grands saints comme François d’Assise ou d’autres.

Et pourtant, le texte de Luc dit clairement que Jésus s’adressait à une « foule immense de gens« , au « peuple » et non seulement au petit groupe de ses disciples. Ces paroles rudes sont pour tous et toutes. Donc pour nous aujourd’hui.

Et si ces paroles sont pour tous, c’est qu’elles sont pleines de sagesse humaine, indépendamment de tout aspect religieux ou chrétien : « Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux ». Cette prescription se retrouve fréquemment dans le Judaïsme du temps de Jésus. A priori il s’agit d’une fraternité, pour laquelle l’autre n’est pas d’abord l’ennemi dont il faut se protéger, mais un partenaire, quelqu’un avec qui entrer en relation. Il s’agit de faire quelque chose pour autrui et non d’éviter de faire.

Mais Jésus va plus loin que cela. Si loin qu’on a du mal à l’entendre et à le suivre. « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux… Alors, vous serez les fils du Dieu très haut ». Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il met la barre assez haute ! Cela semble un idéal inaccessible : comment pourrions-nous pardonner comme Dieu le fait, avoir le cœur bon et miséricordieux comme lui ? Nous savons bien comment faire, mais nous en sommes encore loin !

Mais, en même temps, nous sentons aussi en nous quelque chose d’infini, quelque chose comme un appel à aller toujours plus loin. Alors, tout à coup, l’appel de Jésus à être comme notre Père ne nous paraît pas quelque chose d’insensé ou d’impossible. Au contraire c’est un chemin qui s’ouvre devant nous, une invitation à suivre la trace de Dieu en nous qui sommes faits à son image. Cette parole de Jésus est une parole que nous mettons devant nous pour qu’elle nous tire en avant et hors de nous.

Et c’est dans cette lumière donnée comme horizon à notre vie, que nous pouvons entendre et accepter les rudes paroles de Jésus : « Aimez vos ennemis, souhaitez du bien à qui vous maudit, ne réclame pas à qui te vole, etc. ». Alors, que veut-il dire quand il donne la consigne d’aimer nos ennemis ?

La première démarche à faire pour aller dans le sens de l’évangile, c’est, je croie, d’accepter d’être comme nous sommes, d’accepter nos envies de vengeance et de violence pour régler leur compte à nos ennemis. Reconnaître face à l’évangile : voilà comme je suis, loin de la miséricorde pour mon ennemi. Ensuite pourra s’ouvrir un chemin qu’il faut bien appeler chemin de conversion. Je ne peux pas dire « Notre Père » avec des ennemis dans le cœur.

Aimer son ennemi, ce sera d’abord et avant tout le respecter. Ne pas entrer dans la spirale d’une violence destructrice, qu’elle soit physique ou verbale. Détruire et humilier l’ennemi, c’est l’enfermer dans sa haine et sa violence, lesquelles, tôt ou tard, ressurgiront un jour.

Aimer son ennemi, c’est travailler à changer le regard qu’on porte sur lui. Il faut, envers et contre tout, maintenir en soi la conviction que cet ennemi peut changer et évoluer vers le meilleur de lui-même.

Aimer son ennemi, c’est le confier à Dieu. Prier pour lui, pour qu’il change et quitte le monde de la haine. Réfléchir avec d’autres chrétiens, en Église, en équipe, pour s’ouvrir soi-même à l’évangile, pour se convertir soi-même et peu à peu voir en tout homme, en mon ennemi aussi, un « fils du Dieu très haut » comme dit l’évangile d’aujourd’hui.

Pour terminer, permettez-moi une petite histoire tirée de la Revue « Signes » au n° 130.

Un roi envoya un jour son meilleur général et son armée pour anéantir son ennemi qui menaçait les frontières. Après des mois sans nouvelles de ses troupes, le roi décida d’aller lui-même sur place pour se rendre compte de ce qui s’était passé. En arrivant, il découvrit son armée fraternisant et festoyant joyeusement avec les forces adverses. « Tu n’as pas accompli ta mission, dit-il à son général, je t’avais envoyé anéantir mon ennemi ! – C’est ce que j’ai fait, répondit le général, j’ai réussi à en faire un ami ! ».

Père Javier