Méditation en 14 tableaux sur la Passion

Ce Chemin de croix ou Passion de Jésus Christ en 14 tableaux, exposé pendant le carême en l’église de Vourles, est l’œuvre de Béatrice THIRY, auteure également de la méditation.

I – L’onction à Béthanie – Le Christ est monté à Jérusalem pour la Pâque juive, la tension avec les autorités juives est à son comble. Depuis la décapitation de Jean-Baptiste, le Christ sait parfaitement qu’il va vers sa mort et une mort violente. Ce jour-là il va à Béthanie dans la banlieue de Jérusalem chez un notable,  Simon le Pharisien. Au milieu du repas, arrive une femme qui porte une livre de parfum d’un grand prix ; elle le verse sur la tête du Christ et sur ses pieds qu’elle essuie de ses cheveux. Devant les critiques des convives (quel gaspillage ! c’est une femme de mauvaise vie !) et de Judas en particulier, le Christ déclare qu’il s’agit là d’un geste annonciateur de son ensevelissement et qu’on fera mémoire de son geste partout où l’Évangile sera proclamé. Le geste de cette femme est une onction messianique qui ouvre le récit de la Passion. Le Christ est le Messie, il a reçu l’onction du Seigneur par les mains de cette femme. Dans le tableau le point de fuite est situé à l’endroit où le parfum sort du flacon. Les peintres italiens de la Renaissance, par le jeu de la perspective, ont souvent matérialisé la présence de Dieu par ce point de fuite synonyme d’infini. On remarquera l’échappée à droite avec ses deux arbres et l’âne sur la route (petit clin d’œil à Zacharie 9, 9-10, prophétie selon laquelle le Messie viendra porté sur un ânon). Celui-ci pourrait être l’ânon qui a porté le Christ lors de son entrée triomphale à Jérusalem quelques jours auparavant.

II – La trahison de Judas – Judas décide, probablement pour obliger le Christ à faire un acte de puissance et prendre le pouvoir en Israël, de le livrer aux autorités juives. Rien n’indique dans les trois récits évangéliques que la scène se passe de nuit, mais la nuit m’a semblé s’imposer parce que ce genre de tractation ne se fait pas au grand jour. La scène se passe dans la rue comme se conclurait une affaire entre deux dealers de drogue aujourd’hui. La porte à droite avec son tympan et ses colonnes de chaque côté indique que le Sanhédrin (Conseil religieux des anciens composé des docteurs et des prêtres, présidé par le grand prêtre) n’est pas très loin. Les deux hommes dans l’embrasure du porche sont deux membres du Sanhédrin, deux témoins qui selon la loi juive attestent que cela s’est vraiment passé. Ils sont transparents et ils voient sans être vus. Le ciel n’est pas complètement obscurci, il y a comme un voile qui se soulève et laisse apparaître la lumière : « La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. » (Prologue de l’Évangile de Jean, verset 5)

III – Le lavement des pieds – Les récits évangéliques disent que le Christ enlève ses vêtements, se ceint les reins d’un linge et se met à laver les pieds de ses disciples, c’est dire qu’il est habillé comme un esclave et s’est comporté comme tel vis à vis de ses maîtres. Je me suis inspiré d’un petit croquis à la plume de Rembrandt montrant le Christ accroupi devant Pierre, un linge noué à la taille exactement dans la position d’un esclave. Il y a là tout l’esprit de la scène. La scène (décrite uniquement par l’évangéliste Jean) se passe au cours du dernier repas du Christ avec ses disciples. On aperçoit une deuxième pièce à l’arrière-plan avec une coupe sur la table.

IV – La Cène se passe dans la pièce du fond. Il y a là seulement la coupe dans les mains du Christ. Les convives sont agités et pour cause, ils sont tous en train de se disputer pour savoir qui est celui qui va livrer le Christ après les paroles énigmatiques de ce dernier, paroles qui ne pouvaient être comprises que de Judas qui quitte la pièce.

V – L’agonie du Christ au Mont des Oliviers – Agonie vient de « agôn » qui en grec veut dire combat. Après le repas et après avoir chanté les psaumes le Christ part avec les onze disciples à l’extérieur des remparts de Jérusalem dans un endroit où ils avaient l’habitude d’aller,  le Mont des Oliviers, dans le jardin de Gethsémani. Avec Pierre, Jacques et Jean, ils traversent le torrent du Cédron et là il leur dit : « restez là, veillez et priez pour ne pas entrer en tentation » et il s’en va un peu plus loin. Alors commence son combat : « Père éloigne de moi cette coupe, toutefois que ta volonté soit faite et non la mienne » puis par trois fois, il va voir ses disciples et il les trouve chaque fois endormis. J’ai dessinés les trois disciples dormant comme des bébés d’un sommeil qui les protège, les isole de la tragédie que vit le Christ.Une fois encore c’est la nuit, mais la lumière n’est pas complètement engloutie; il y a les étoiles, il y a ce liseré jaune qui souligne l’horizon et nous rappelle que « La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. »

VI – L’arrestation du Christ au Mont des Oliviers – Même ambiance que précédemment, mais l’arrestation ici représentée, se déroule selon le récit de l’évangéliste Marc. Et Marc nous dit que la débandade était telle au moment de l’arrestation que non seulement les disciples abandonnèrent le Christ et s’enfuirent tous mais qu’un jeune homme, lui aussi disciple de Jésus, qui n’avait pour tout vêtement qu’un drap, lorsqu’on le saisit, lâchant le drap se sauva tout nu ! Et cet homme, c’était Marc ! Ce détail rapporté est la signature même de son Évangile. Dans ce tableau, je voulais montrer au milieu du chaos de la situation, la grande sérénité du Christ.

VII – Jésus devant le Grand Conseil (« Le Sanhédrin ») – Une fois arrêté, Jésus est emmené chez le grand prêtre Caïphe qui réunit tous les docteurs, les anciens et les chefs des prêtres pour l’entendre. Après avoir entendu des témoignages contradictoires, le Grand Prêtre interroge lui-même le Christ lui demandant directement : « Es-tu le Messie, le Fils du Dieu béni ? » et Jésus lui répond tout aussi directement : « Je le suis et vous verrez le Fils de l’Homme siéger à la droite du Tout-Puissant et venir parmi les nuées du ciel. » Le grand prêtre déchire alors ses vêtements devant cette affirmation qu’il juge blasphématoire. Et tous décident qu’il mérite la mort. Certains crachent sur lui d’autres lui donnent des gifles. L’évangéliste Jean nous dit qu’il était présent dans la maison du Grand Prêtre, car il était lui-même d’une famille proche des autorités et il était connu du grand prêtre. Je l’ai représenté appuyé sur une colonne, habillé de bleu au premier plan. Pendant ce temps, Pierre était dans la cour avec les gardes et le petit personnel. Il se fait interpeller à trois reprises, par une servante puis par un garde, et par trois fois il nie connaître Jésus. Quand le coq chanta pour la deuxième fois, il se souvient alors des paroles du Christ qui avait prédit son reniement et il se met à pleurer amèrement. J’ai voulu représenter ces deux scènes concomitantes sur une même toile. Deux tableaux en un. Nécessité d’un format plus large mais de même hauteur pour garder une unité ; la toile est aux dimensions du nombre d’or ce qui est l’occasion de répartir l’espace : L’intérieur est lumineux : le Christ manifeste sa messianité alors que l’extérieur dans l’ombre de la nuit : trahison de Pierre. Mais là encore les étoiles brillent dans le ciel : « la lumière luit dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l’ont pas arrêtée ».

VIII – Jésus devant Pilate – La scène se passe tôt le matin. J’ai choisi de reprendre la « mise en scène » de Rembrandt; Pilate et le Christ surplombant la foule réunie dans la cour du prétoire, comme sur une scène de théâtre. On voit la foule de dos grise comme la couleur des murs. Elle fait bloc. Elle est haranguée par les grands prêtres dans leurs robes rouges qui la poussent à demander la libération d’un malfaiteur Barabbas en échange de la condamnation de Jésus. En bas à gauche, on aperçoit Barabbas dans son cachot. Dans l’embrasure d’une porte à droite du prétoire on aperçoit aussi la femme de Pilate qui se tord les mains d’inquiétude. Elle a en effet dit à son mari Pilate: «Ne te mêle point de l’affaire de ce juste car aujourd’hui j’ai été très affectée dans un songe à cause de lui » Mt 27, 19. Pilate cède devant l’insistance de la foule et des chefs des prêtres et ordonne la crucifixion de Jésus.

IX – Le repentir de Judas – Judas voit que son plan a échoué et que Jésus a été condamné à mort par Pilate sans se défendre ni manifester sa puissance. Il est pris de remords et va rapporter les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens. Il vient demander le pardon de Dieu, en leur disant: j’ai pêché en livrant un sang innocent. Mais les grands prêtres ne reçoivent pas sa demande de pardon et le renvoient. Alors Judas se retire dans son désespoir et laissant l’argent, va se pendre. La scène se passe dans une belle maison. Une pièce du Sanhédrin ? Avec une porte ouverte sur l’extérieur laissant entrevoir la campagne environnant Jérusalem avec un arbre qui pourrait être celui où Judas ira se pendre. Cet épisode est raconté par Matthieu. (Mt 27, 3-10)

X – La flagellation – Après que Pilate a livré le Christ aux chefs des prêtres, les soldats romains emmènent Jésus pour le flageller. Ils lui mettent une couronne d’épine et un manteau de pourpre pour le déguiser en roi. Les bourreaux sont des hommes de sang, c’est pourquoi ils sont peints en rouge, comme des écorchés. Ils frappent le Christ qui, lui aussi, est rouge parce qu’ensanglanté. Ils le frappent à la tête avec des verges. Il n’a qu’un pagne qui lui ceint les reins : il est habillé comme un esclave, le manteau de pourpre dont les soldats l’avaient revêtu est jeté par terre. Il est le serviteur souffrant dont parle le prophète Isaïe 52, 14 « car il n’avait plus figure humaine et son apparence n’était plus celle d’un homme. »

XI – Le portement de croix – Le Christ, épuisé par la flagellation, doit porter sa croix jusqu’au Golgotha qui signifie lieu du crâne. Il est emmené par les soldats de l’occupant romain. Au sortir de la ville, ils croisent Simon de Cyrène qui rentre des champs et les soldats le réquisitionnent pour qu’il aide Jésus à porter sa croix. C’est le milieu de la journée, le soleil est accablant, la distance à parcourir semble immense dans le tableau : elle est immense pour l’homme épuisé de douleurs qu’est Jésus à ce moment-là.

XII – La crucifixion – Chez Matthieu, Marc et Luc, il y a une foule nombreuse autour de la croix : ceux qui disent à Jésus « descends de ta croix si tu es le fils de Dieu » et ses proches qui se taisent et souffrent avec lui. Ces trois évangélistes nous disent que la nuit se fait sur la terre à la sixième heure, comme pour une éclipse de lune, au moment de la mort du Christ.Chez les quatre évangélistes les soldats, après avoir crucifié le Christ, tirent au sort la belle tunique du Christ, tissée d’un seul morceau. Après que le Christ a expiré, l’un des soldats transperce son côté d’un coup de lance pour s’assurer qu’il est bien mort. Dans son Évangile Jean donne un « coup de projecteur » sur lui-même et Marie qui sont là au pied de la croix et sur le Christ qui trouve encore la force de leur dire : « femme voici ton fils » et « Fils, voici ta mère ». Jean prend Marie livide dans ses bras.

XIII – La mise au tombeau – C’est le soir (Mc 15, 42 s.) On aperçoit à l’horizon un liseré jaune correspondant à la lumière du soleil couchant. Joseph d’Arimathie, un riche notable juif, disciple de Jésus, en secret par peur des autorités juives, va demander le corps de Jésus à Pilate. Pilate étonné qu’il soit déjà mort se le fait confirmer par son centurion. Joseph d’Arimathie donne son propre tombeau tout neuf qu’il s’était fait tailler dans le roc. Il est situé dans un jardin non loin du lieu de la crucifixion. Saint Jean mentionne la présence d’un autre notable juif, lui aussi disciple en secret de Jésus, Nicodème qui apporte les aromates. Matthieu, Marc et Luc mentionnent la présence de Marie de Magdala et d’une autre Marie qui n’est pas la mère du Seigneur. Mais j’ai choisi de représenter la mère du Christ. L’environnement est celui d’un jardin. C’est le tout début du printemps, les bourgeons n’ont pas encore éclaté. À l’image du Christ, les arbres sont comme morts. La pierre est roulée à côté de l’entrée du tombeau.

XIV – Le matin de Pâques – « noli me tangere » d’après saint Jean 20, 11-18 : « Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala vient de bonne heure au tombeau, comme il fait encore sombre et elle aperçoit la pierre enlevée du tombeau. Marie se tient près du tombeau, tout en pleurs. Or tout en pleurant elle se penche vers l’intérieur du tombeau et elle voit deux anges en vêtements blancs, assis là où avait reposé le corps de Jésus, l’un à la tête l’autre aux pieds. Ceux-ci lui disent « femme pourquoi pleures-tu ? » Elle leur dit : « parce qu’on a enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où on l’a mis. » Ayant dit cela elle se retourne et voit Jésus qui se tient là, mais elle ne sait pas que c’est Jésus. Elle le prend pour le jardinier. Jésus lui dit : « Femme pourquoi pleures-tu, qui cherches-tu ? » elle lui dit : « Seigneur si c’est toi qui l’as emporté, dis- moi où tu l’as mis et je l’enlèverai. » Jésus lui dit « Marie ! » Reconnaissant cette voix qui l’appelle par son nom, elle lui dit : « Rabbouni » ce qui veut dire avec tendresse « maître » en hébreu. Jésus lui dit alors : « ne me retiens pas (…) mais va trouver mes frères et dis-leur: je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » Une femme, Marie de Magdala, en son cœur secrètement amoureuse de Jésus, (elle lui a donné l’onction messianique sous l’inspiration de l’Esprit, cf. le premier tableau), est instituée par le Christ ressuscité, missionnaire pour annoncer aux disciples qu’elle a vu le Seigneur et que nous sommes tous désormais les enfants de Dieu.