Homélie du 23 octobre Lc 18, 9-14

Tout comme dimanche dernier, le Christ invite ses disciples à mieux comprendre ce qu’est la prière, ou plutôt à mieux repérer des manières de prier, des attitudes propres à tout homme qui se lance dans l’expérience de la prière. Et tout comme dimanche dernier, une petite parabole sert à épingler au passage quelques unes de ces attitudes ainsi que les pièges inévitables.

Jésus s’adresse explicitement à certains hommes « qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres ». Une formule assez générale pour dédier sa petite histoire non seulement aux pharisiens et aux docteurs de la Loi de ce « temps là », mais à ceux de tous les temps, de toutes les époques, de toutes les cultures. Autant dire pour notre temps aussi !

Mais vous allez me dire, n’est-ce pas un peu caricatural ?… ce pharisien qui s’écoute prier, qui félicite Dieu de sa vertu, en un mot qui est plein de lui-même. Pas sûr ! Il est probablement certain, cet homme, d’être dans une bonne prière d’action de grâces, de remerciements, de louange, comme on les aimait dans les synagogues à l’époque de Jésus. Et il remercie du fond du cœur, sans doute, cette aide de Dieu sans laquelle il ferait peut-être partie des voleurs, des adultères, des drogués, des paumés, des gens sans toi ni loi… que sais-je encore ?… Enfin tout ce qui est du côté du péché, du désordre, de la transgression des commandements de Dieu.

Oh certes, je vous l’accorde, il en rajoute peut-être dans l’étalage de ses mérites, de ses œuvres : les jeûnes, la dîme… On imagine difficilement aujourd’hui quelqu’un faisant étalage de ses versements au Denier de l’Eglise ou de ses privations de Carême au profit les pauvres. Et puis ce qui agace sans doute, c’est toujours cet esprit de comparaison avec les autres, ce besoin de se justifier comme pour mieux dire qu’il n’est pas comme eux, un pauvre pêcheur. Enfin, il n’empêche, on peut tout de même dire qu’il est fidèle, qu’il ne s’est pas égaré du droit chemin, qu’il a même un certain mérite.

Mais alors qu’est-ce qui cloche exactement dans son comportement, car vous l’avez entendu, c’est l’autre qui va être déclaré « juste » par Jésus ? Oui, je ne sais pas si vous prenez la mesure d’une telle déclaration mais c’est un véritable scandale lorsque Jésus dit que c’est le publicain, le « pêcheur public » qui sort justifié.

Alors pour comprendre, revenons à l’autre, le publicain. Lui il ramasse l’impôt pour l’envahisseur romain, prenant au passage quelques majorations pour son propre compte. Il est tout modeste. Faut dire qu’il n’a pas de quoi pavoiser ! Et puis à la différence de Zachée que nous croiserons sur notre route la semaine prochaine, ce publicain ne semble pas envisager de réparer quoi que ce soit, encore moins de changer de métier. Alors se frapper la poitrine, d’accord !… mais n’est-ce pas un peu facile tous ces gens «  qui disent Seigneur, Seigneur… »

Reste un troisième personnage, si l’on peut dire, et que l’on finirait presque par oublier, tant nos deux hommes tiennent le devant de la scène : c’est Dieu bien entendu ! Le Seigneur qui est le cœur et la raison d’être de ce Temple où le pharisien et le publicain viennent prier. Dieu qui est sensé être le « sujet » de toute prière, en tout cas son centre. Dieu qui attend inlassablement l’homme au cœur de son recueillement, de sa méditation, de sa prière.

Et maintenant, que nous avons bien regardé les personnages de cette parabole, cela ne vous fait pas penser à une autre parabole ? Oui vous ne trouvez pas que cette histoire évoque irrésistiblement une autre parabole de Luc, beaucoup plus développée ?… une parabole de miséricorde comme on dit, celle qu’on appelle habituellement l’enfant prodigue ou le fils perdu.

Souvenez-vous, dans cette parabole, il y a aussi deux hommes, deux frères exactement, chacun ayant à découvrir la profondeur, la prévenance, la gratuité de l’amour infini du père qu’ils ne connaissent pas mais qui les attend, à l’instant qui sera le leur. Oui, deux chemins jamais achevés que celui de ces deux frères qui ont tant de mal à se reconnaître frères parce qu’ils ne connaissent pas en vérité leur père commun : l’un dans son éloignement, son égarement et son repentir. L’autre dans sa fidélité crispée, sa mentalité d’ayant droit, son légalisme.

Et bien voyez-vous, la parabole de ce dimanche semble être l’illustration, dans la prière, de l’enfant prodigue. Car aujourd’hui ce sont encore deux hommes qui semblent s’ignorer : l’un pris dans son repentir « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis », l’autre prisonnier de ses mérites et de ses efforts vertueux «  je jeûne doux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne. ». Tout deux, pourtant, priant en apparence le même Dieu. En fait, deux hommes séparés par quelques mètres et pourtant si loin l’un de l’autre.

Tout comme le frère cadet, qui était mort puis revenu à la vie, grâce à son mouvement de repentir par lequel il découvrait l’amour inépuisable du père ; oui, tout comme ce frère cadet, le publicain est ici justifié ( sous entendu par Dieu), car il laisse ouverte en lui la brèche d’une attente. Attente d’un pardon qui n’est rien d’autre que l’amour donné quoiqu’il en soit, jusqu’à en être déraisonnable aux yeux des hommes, au regard de la morale. Car voyez-vous, avec Dieu ce n’est pas donnant-donnant mais donné, un point c’est tout.

Oui, ce publicain qui se présente ici à Dieu tel qu’il est, sans masque, dans sa vulnérabilité, autant dire dans sa vérité, sans chercher de circonstances atténuantes à son état, ce publicain manifeste cette disposition intérieure qui lui inspire les mots de la prière, son cri qui le met totalement dans sa relation à Dieu, sans chercher à se rassurer au détriment d’autrui. Bref, cet homme pêcheur est sur le chemin pour découvrir la véritable profondeur de l’amour de Dieu. Il lui restera alors à découvrir les exigences de cet amour sans mesure tout comme Zachée dimanche prochain.

Le pharisien, quant à lui, comme le frère aîné, certain de sa fidélité et de sa proximité avec Dieu, en reste en réalité infiniment éloigné par les barrières qu’il dresse lui-même. Sa relation à Dieu est parasitée par ses jugements sur les autres à partir desquels il ne cherche qu’une seule chose : se justifier. Oui, il est tellement bien sur tous rapports, Dieu ne peut faire qu’une chose l’aimer ! Alors que pourrait-il se passer pour lui, il n’attend rien, il ne demande rien. De quelque côté qu’il regarde, il est juste. Dieu ne peut-être que dans sa justice à lui. Mais en réalité Dieu n’a plus la parole en cet homme pourtant en prière. Alors vous mesurez tout le chemin de conversion qui lui reste à faire pour découvrir le don de Dieu, son amour immérité, sa gratuité, car Dieu ne nous aime pas parce que nous nous serions rendus aimables, il nous aime sans à priori, sans condition, sans restriction. Son amour est toujours premier, il nous précède toujours et c’est ça qui change la vie, nos manières de vivre !

Voilà mes amis, avec cette petite parabole, la conversion à laquelle Jésus nous appelle dans notre rapport avec Dieu, dans la prière. Oui, que d’illusions possibles dans la prière ! Et quel besoin du coup, de vérifier sans cesse, que notre prière est d’abord ouverture à un amour inépuisable, toujours plus grand que notre cœur, au-delà de nos mérites et de nos péchés. Un amour qui nous appelle à nous ajuster, à nous réajuster aux dimensions du cœur universel de Dieu. Un amour qui nous recrée sans cesse dans notre filiation et nous permet de nous reconnaître frères, parce fondamentalement aimés et aimables.

Alors sans plus attendre, dans le souffle de l’Esprit, renouvelons nos manières de prier, car «  la prière du pauvre traverse les nuées, et tant qu’elle n’a pas atteint son but, Dieu demeure inconsolable ». Allez soyons d’authentiques priants et bon dimanche à tous !

 

Père Patrick ROLLIN